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importait de vaincre à tout prix. Comme nous l’avons dit, il prit la résolution d’accepter la démission du ministère de l’ère nouvelle, ou plutôt il la provoqua. A qui confia-t-il le soin de former le nouveau cabinet ? A M. de Bismarck. Le roi cependant n’ignorait rien de ses opinions, de la politique qu’il n’avait cessé de conseiller, de son hostilité à l’égard de l’Autriche, à l’égard de la diète, de son ardent désir de rompre le pacte fédéral et d’entreprendre une campagne diplomatique, militaire au besoin, pour asseoir, sur de nouvelles bases, la puissance de la Prusse en Allemagne. Que faut-il en conclure ? Évidemment que les vues du souverain étaient bien celles que le représentant de la Prusse à Francfort, à Pétersbourg, à Paris n’avait cessé de suggérer et de soutenir.

Le caractère du souverain cependant et celui du ministre ne se conciliaient guère. Esprit fortement trempé, M. de Bismarck devait apporter dans l’exercice de ses nouvelles fonctions ses qualités et ses défauts : la résolution, la témérité, l’intempérance. Sa nature énergique et passionnée le rendait réfractaire aux conseils de la prudence. Le secret diplomatique et professionnel ne lui semblait plus un moyen efficace à notre époque de publicité universelle. Le déguisement ne lui paraissait ni utile ni profitable. Comme à Francfort, il ne dissimulait ni ses projets, ni ses espérances. Il s’en ouvrit au représentant de l’Autriche lui-même, le comte Karolyi, dans l’un de leurs premiers entretiens. Était-ce habileté ou faiblesse, obéissait-il à un sage calcul ou bien à des entraînemens involontaires ? On s’était familiarisé avec la liberté de langage du diplomate, on était désorienté par les épanchemens du ministre. Il lui fallait toutefois compter avec une volonté toujours éveillée, toujours impérieuse, celle du roi, qui se manifestait en mainte occasion. Nous verrons le souverain autoriser des démarches, donner des assurances, qui démentaient les déclarations ou les confidences de M. de Bismarck. Nous verrons ces maîtres, également avisés, se contredire souvent, toujours fidèles à leur pensée commune. Ce fut un spectacle singulier et bien intéressant à la fois que celui de ces deux lutteurs poursuivant le même but par des voies bien différentes.

Quelle a été la part de chacun d’eux dans le glorieux résultat qui a couronné leurs communs efforts ? La légende est faite : M. de Bismarck a conduit seul de sa main de fer la politique de la Prusse ; il en a dirigé toutes les évolutions. Grâce à sa véhémente fermeté, il a vaincu à Berlin aussi bien qu’à Vienne et à Paris ; il a relevé le roi de ses défaillances et triomphé de ses hésitations. Les futurs historiens auront fort à faire pour redresser ce jugement. Il est pourtant erroné. Assurément, il serait puéril de méconnaître et même