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nouvelle politique. Il regardait la diète comme un foyer de dissimulation : il y jeta un trouble profond par les éclats de sa franchise. Il dit tout haut, et sans mesure, ce que ses collègues pensaient et pratiquaient tout bas. Cette assemblée était, à vrai dire, une réunion d’adversaires déguisés. L’Autriche et la Prusse s’y mesuraient sans cesse. Les états secondaires puisaient, dans ce duel continu, la plus précieuse garantie de leur indépendance et de leur sécurité ; ils secondaient tantôt l’une, tantôt l’autre des deux grandes puissances au gré de leurs intérêts particuliers, paralysant alternativement l’action du cabinet de Vienne ou celle du cabinet de Berlin dès qu’elle se montrait dangereusement prépondérante. M. de Bismarck arracha les masques. Avec une verve intarissable, il persifla l’organisme compliqué et caduc de la confédération, élaboré, avec le concours de l’étranger, pour réduire l’Allemagne à l’impuissance, faute d’une direction unique et virile. Sans plus de retenue et avec une audace égale, après avoir constaté le mal, il indiqua le remède. L’empire d’Autriche, disait-il dans ses entretiens particuliers, n’est pas un état germanique, il est cosmopolite ; sans l’archiduché il serait un étranger en Allemagne, il siège indûment à la diète ; il doit en sortir, ajoutait-il dans l’intimité. Tout Prussien est Allemand, disait-il encore, oubliant les Polonais ; la Prusse est la véritable grande puissance germanique. Ce singulier langage, si peu diplomatique, si fort inusité au siège de la diète, en surprenant tout le monde, n’inquiétait personne à cause même de son étrangeté. Nul ne soupçonnait que M. de Bismarck était prophète.

Ce qu’il disait à Francfort, il l’écrivait à Berlin en l’accommodant au tempérament du roi et de son ministre des affaires étrangères, M. de Manteuffel. Si timoré qu’on fût, cette attitude ne déplaisait pas. Les fières paroles du représentant de la monarchie flattaient l’orgueil du monarque. Le souverain connaissait son envoyé : il l’avait vu à Berlin déployer une ardeur quelquefois désordonnée, mais toujours consacrée à son service, aux intérêts de la dynastie. Il avait toutefois hésité à le déléguer auprès de la confédération. « Que Votre Majesté lasse l’essai, lui avait dit M. de Bismarck ; si cela ne va pas, elle me rappellera. » L’essai tourna à son avantage ; il fut maintenu à son poste malgré ses écarts, malgré les représentations des cours confédérées et les instances des seigneurs prussiens qui sollicitaient son rappel, ainsi qu’il le mande lui-même à Mme d’Arnim[1].

Nommé à Francfort en mai 1851, il y était encore le

  1. Lettre du 12 novembre 1858.