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prédécesseur. Les difficultés qu’il avait à vaincre exigeaient une extrême discrétion ; elles lui conseillaient la réserve : il fut donc et il resta un taciturne. Il déguisa sa pensée avec une aménité étudiée et constante. Par sa bonne grâce, douce et affable, il exerça un charme toujours puissant sur les autres souverains de l’Europe. Il séduisit ainsi l’empereur Alexandre, son neveu : on sait les concessions, regrettables pour les plus précieux intérêts de la Russie elle-même, qu’il obtint de lui en 1866 et en 1870. Venu à Paris, lors de l’exposition de 1867, au lendemain de l’affaire du Luxembourg, il y arriva précédé d’un légitime ressentiment dont il pouvait redouter les manifestations. Il en partit laissant derrière lui des impressions qui donnèrent la mesure de son habileté, de l’art merveilleux qu’il savait déployer pour désarmer les esprits les plus prévenus. Ce charmeur ne tenait pas cette précieuse faculté de sa race : elle s’est toujours distinguée plutôt par la rudesse de ses manières. Mais il sut lui emprunter tous les dons et toutes les aptitudes qui ont si prodigieusement servi la grandeur des Hohenzollern : la fermeté dans les desseins, l’opportunité dans les résolutions, une prudence absolue, une défiance toujours attentive, au besoin la dissimulation. « S’il faut duper, soyons fripons, » avait écrit Frédéric le Grand. Le roi Guillaume, ayant signé le traité avec l’Italie, en oubliait l’existence ; et il autorisait la reine douairière, sœur de la mère de l’empereur d’Autriche, à transmettre à Vienne l’assurance que ses engagemens n’avaient pas le caractère qu’on leur attribuait.

Ne craignant ni la peine ni le labeur, il déployait une activité incessante et infatigable. Aucun des services publics n’échappait à son contrôle. N’oubliant pas que, pour faire une bonne politique, il lui fallait avoir de bonnes finances, sa sollicitude pour la sage administration des ressources de l’État ne se démentit en aucune occasion. Il ne se fit pas sous son règne une seule dépense de luxe. Mais sa pensée maîtresse tut pour l’armée. Il savait que la diplomatie est fatalement impuissante, si habiles que puissent être ses interprètes, si elle ne s’appuie sur une force militaire solidement organisée, toujours prête à la seconder. Il appliqua sa plus ferme préoccupation à en assurer le développement et le bon entretien. Sa prévoyance l’a bien servi, car, il faut le dire, toutes les habiletés de M. de Bismarck auraient conduit la Prusse aux abîmes sans les victoires de Sadowa et de Sedan.

Durant son long stage de prince royal, il avait, en sa qualité de commandant en chef du corps d’armée rhénan, établi sa principale résidence à Coblentz. Il y vivait entouré de quelques amis dévoués, esprits éclairés, déplorant avec lui les défaillances de son