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les gérim. Ces gérim de Iahvé n’avaient guère été jusque-là que des parasites, vivant des sacrifices et de la bombance qui entourait les temples ; un esprit moral s’introduisit dans cette institution, qui ailleurs n’a rien produit de bon. On pensa que, pour être le voisin de Iahvé, il fallait une grande pureté morale. L’homme vertueux se consolait en disant à Dieu : « Le méchant ne saurait être ton ger. »


Iahvé qui pourra être le voisin de ta tente[1] ?
Qui est digne d’habiter sur ta montagne sainte ?
Celui qui marche irréprochable et fait ce qui est juste,
Qui n’a que des pensées vraies en son cœur ;
Qui ne dénonce, ni ne calomnie ;
Qui ne fait pas de mal à son prochain ;
Et n’outrage pas son semblable ;
Qui méprise ce qui est méprisable,
Qui respecte ceux qui craignent Iahvé,
Qui ne change rien à ce qu’il a juré ;
Qui ne place pas son argent à usure,
Qui n’accepte pas de présens au détriment de l’innocent.
Celui qui fait ces choses ne sera jamais ébranlé.


IV

Ainsi se forma une sorte de petite morale excellente, déjà en germe dans les écrits des prophètes antérieurs, qui maintenant a un parti et constitue une école. C’est une morale de gens du peuple et de moyenne classe, affamés de justice et d’honnêteté, détestant les hautes allures des aristocrates, comprenant peu les nécessités de l’État, affectant des dehors doux et humbles. Prêchée avec acharnement par les prophètes et leurs disciples jusqu’à la confection définitive du judaïsme, pratiquée par les juifs pieux durant les siècles qui précèdent notre ère, répandue par le christianisme, cette morale est devenue la morale du genre humain. Grâce à elle, les droits du pauvre, ou pour mieux dire du faible, ont partout triomphé, au moins jusqu’au temps où le christianisme, faussant complètement sa nature première, fit alliance avec les classes militaires et aristocratiques et n’eut plus à prêcher au pauvre que la résignation.

Dans le partage idéal qu’il avait fait à son peuple des biens de la terre, Iahvé n’avait pas prévu qu’il y aurait des riches et des

  1. Psaume XV.