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Parmi les ustensiles du temple, l’objet qui déplaisait par-dessus tout aux prophètes était ce qu’on appelait le nehustan (abréviation, avec jeu de mot, de nehas nehost, serpent d’airain), vieux talisman que Moïse avait, dit-on, fait fabriquer contre la piqûre des serpens. Les Israélites lui avaient jusque-là offert de l’encens comme à un dieu, et il n’est pas impossible que ce fût en effet une vieille image de Iahvé, provenant des temps où l’on représentait ce dieu sous des formes empruntées à l’Egypte. Ézéchias le fit mettre en pièces. Il fallait, pour une innovation aussi hardie, un parti religieux bien fort. Le nehustan était une relique nationale de premier ordre. La religion nationale est toujours superstitieuse. Le jour où Ézéchias ordonna de casser le serpent d’airain de Moïse, il fit ce que firent, en partie à son imitation, les protestans du XVIe siècle, mutilant les saints gothiques, les autels les plus vénérés. L’horreur de l’imposture sacerdotale et du matérialisme religieux l’emportait sur le respect de la tradition. Héros de l’abstraction et du vrai absolu, le prophète juif est plus que patriote. Les mensonges, dont le patriote se contente si facilement, lui soulèvent le cœur. Une fable attribuant quelque vertu à un objet naturel lui paraît une diminution du pouvoir de Iahvé. De plus en plus, la religion des prophètes de Jérusalem devient une religion humanitaire et cesse d’être un culte en rapport avec une race ou un pays déterminés.

Ni Salomon, ni aucun de ses successeurs immédiats ne songea à faire du temple de Jérusalem la place exclusive des sacrifices. Les hauts lieux des temps antiques continuèrent à être des endroits de culte. On y adorait Iahvé, et souvent aussi les anciennes divinités topiques. Le pays était couvert de masséboth ou cippes sacrés et d’aséroth ou stèles phalliques, portant le signe d’Astarté. Ces objets choquaient les puritains, qui en obtinrent la suppression d’Ézéchias. Réclamèrent-ils aussi l’unité du lieu de culte, demande qui, à ce qu’il semble, eût été de nature à plaire à la royauté, toujours centralisatrice ? Les prophètes judaïtes du VIIIe siècle sont pleins de désirs en ce sens. Leur idéal est Iahvé adoré en Sion et uniquement en Sion. Il est probable qu’Isaïe sollicita plus d’une fois Ézéchias de supprimer les sacrifices extra-urbains. Mais, bien que le roi fût en parfaite intelligence avec le parti pieux, il ne se laissa jamais complètement mener par ce parti. Son attitude rappelle celle de saint Louis, si profondément religieux, et cependant gardant à l’égard du clergé une certaine indépendance. La suppression des sacrifices locaux aurait sûrement entraîné des vexations, des perturbations, comme il y en eut sous Josias. Or ce qui caractérisa le mouvement d’Ezéchias et d’Isaïe, en opposition avec celui de Josias et de Jérémie, c’est qu’il ne fut, au moins dans