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que l’on disait de Dieu, on le dit de Iahvé, et puisque Dieu a créé le ciel et la terre, Iahvé aussi a créé le ciel et la terre. Iahvé, en un mot, purement, simplement, sans nuance de différence, signifia « Dieu[1]. »

L’emploi des deux mots devint indistinct. On chercha au mot Iahvé une étymologie qui en fît le nom du dieu unique. L’opinion très dominante était que le nom de Iahvé fit partie de la révélation sinaïtique, que Dieu même en avait donné l’explication à Moïse, le tirant de la racine haïa ou hawa (araméen), qui veut dire être. On plaçait dans la bouche de Dieu ce mot mystérieux : Ehié aser ehié, « je suis celui qui suis. » Cette idée, fort belle assurément, n’était pourtant pas exclusive de deux autres systèmes, qui avaient leurs partisans. Les uns voulaient qu’Abraham offrît déjà des sacrifices au nom de Iahvé ; d’autres soutenaient que l’usage de ce nom solennel remontait aux premiers temps de l’humanité, au patriarche Seth, fils d’Adam.

Dès l’époque, déjà passablement philosophique où nous sommes arrivés, beaucoup d’esprits se disaient sans doute qu’il y avait en tout cela un sensible porte-à-faux, que ce Iahvé, ayant sa politique et sa providence personnelles, était après tout un dieu particulier, fort distinct de l’El absolu des sages antiques dont l’école se poursuivait chez les Thémanites et chez les Beni-Qédem. La grande contradiction qui était au fond de la conscience d’Israël : — d’une part, le Dieu abstrait et universel de l’univers ; — d’une autre part, le dieu particulier d’Israël, était recouverte d’une cicatrice grossière, qui suffisait. On ne voit pas que les élohistes purs, comme ceux qui écrivirent Job et les Proverbes, aient jamais protesté contre ce qu’il y avait de paganisme, et, en un sens, de polythéisme, dans un nom propre donné à Dieu ; on ne voit pas non plus que les iahvéistes aient jamais combattu un parti de déistes purs, niant qu’Israël eût, comme les autres tribus, un dieu protecteur spécial. Tous deux avaient pour commun adversaire le groupe des fous qui disaient : « Il n’y a pas de Dieu. » Ceux-ci seuls étaient les pervers, les hommes dangereux. Comme ils se gardaient d’écrire, nous ne savons pas combien ils étaient. L’histoire ne voit que les surfaces ; mais, en réalité, les surfaces seules existent dans l’humanité ; elles sont les apparences ; or, en dehors de l’ordre scientifique pur, les choses humaines ne sont qu’apparences. La bataille gagnée est celle qu’on croit gagnée. L’opinion triomphante est celle qui réussit à prouver, à une certaine heure, qu’elle avait le droit de triompher.

  1. C’est ainsi qu’au moyen âge, le Christ prit toutes les fonctions de Dieu et que, de nos jours, on a été accusé d’enlever Dieu des écoles parce qu’on enlevait les crucifix.