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piétistes. « Iahvé, disaient-ils, le précipitera du faîte de ses honneurs ; ses chars ne lui serviront de rien. » L’intrigue pour remplacer Sebna était évidemment déjà toute prête. Le candidat du parti théocratique et antiégyptien était Eliaqim fils de Hilqiah, qui devait, selon l’usage de l’Orient, porter toute sa famille aux honneurs avec lui. Iahvé apostrophe Sebna et fait la réclame pour le saint homme, qui réparera les scandales du mécréant.


Alors j’appellerai mon serviteur Eliaqim fils de Hilqiah, et je le revêtirai de ta tunique, et je le ceindrai de ton baudrier, et je mettrai ton pouvoir en sa main, et il sera un père pour le peuple de Jérusalem et la maison de Juda, et je placerai la clé de la maison de David sur son épaule ; il ouvrira, et après lui personne ne fermera ; il fermera, et après lui personne n’ouvrira. Je l’enfoncerai comme une cheville en un endroit solide ; .. on y suspendra toute la gloire de la maison de son père, branches nobles et humbles pousses, vases petits (et grands), depuis les bassines jusqu’aux cruches[1]. En ce jour-là, au contraire, dit Iahvé-Sebaoth, le clou qui paraissait solidement enfoncé sera ébranlé ; il cédera, il tombera, et la charge qui posait dessus s’abîmera, car Iahvé l’a dit.


Éliaqim, en effet, remplaça Sebna dans la charge de préfet du palais ; mais Sebna n’en garda pas moins à la cour une haute autorité. En somme, Isaïe avait raison malgré l’étrangeté de ses argumens. L’Égypte n’était pas un appui solide ; c’est l’Assyrie qui était vraiment l’organe de Iahvé, car l’Assyrie était forte. Les prophètes, voyant l’action de Iahvé dans tout ce qui triomphait, devaient être pour l’Assyrie. Ce n’est pas impunément qu’on exécute les arrêts de Iahvé, qu’on est son ministre, l’exécuteur de ses plans. La force païenne chargée d’une telle mission devait paraître quelque chose de sacré. C’est ainsi que le parti prophétique fut amené à saluer l’Assyrie, puis la Perse, comme des institutions divines. La cour de Rome, toujours acquise au plus puissant, est la vraie continuatrice de cette politique. Le fort fait la volonté de Dieu. Lui désobéir, c’est désobéir à la volonté de Dieu. Ajoutons qu’étant presque indifférens en religion, les Assyriens se présentaient aux populations pieuses de la Syrie un peu comme les Mongols aux yeux des croisés. Ils ne portaient point atteinte à la liberté religieuse, la seule que ces races aient toujours désirée. Sujet, en politique, d’un empire qui respecte sa religion, telle est, dès la plus haute antiquité, la position logiquement voulue par Israël.

  1. Pensée qui de nos jours paraîtrait épigrammatique : « Tous les membres, grands et petits, de la famille d’Eliaqim auront une place. »