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qui y ont joué le premier rôle. M. de Bismarck, pour sa part, ne se résigne pas facilement à la retraite et à la solitude de Friedrichsruhe. Il a de la peine à s’avouer qu’il est définitivement entré dans l’histoire, qu’il n’a plus rien à faire si ce n’est à écrire ses mémoires. Il dispute encore avec la destinée ; il y met même de l’amertume, à en juger par les confidences qu’il multiplie dans ses entretiens avec tous ceux qui vont l’interroger. A dire vrai, il ne gagne rien à toutes ces confidences ; il laisse trop voir que chez lui l’élévation du caractère n’était pas à la hauteur du génie, qu’une partie de sa grandeur tenait moins à l’homme qu’à la position où des événemens inespérés l’avaient porté. Ce vaincu de mauvaise humeur redevient un assez petit personnage dans ses conversations. Peut-être se fait-il encore quelque illusion et garde-t-il quelque vague espoir d’un retour de fortune. On le dirait ; mais ce n’est qu’un dernier rêve de vaincu mal résigné. D’après toutes les vraisemblances humaines, le chancelier des anciens jours en a fini avec tout rôle public. Il n’a plus de place sur la scène allemande et européenne, ni comme le prépotent qu’il était, ni comme un ministre ordinaire. Il a fait son temps ; il a disparu ! Il ne reste plus, là où il a régné sous le nom du vieil empereur pendant un quart de siècle, qu’un jeune souverain inquiet, impatient d’action, plein de contradictions morales et de velléités énigmatiques, partagé entre le mysticisme ardent de son discours de Kœnigsberg et ses ambitions de réformateur. C’est à Guillaume II qu’appartient maintenant l’omnipotence sans contrôle et sans tutelle importune. Quel sera le caractère de ce règne ? A quoi se décidera dans son action et dans ses alliances, ce jeune prince qui porte à la fois en lui-même le rêve des conquêtes coloniales, les instincts du réformateur socialiste et par-dessus tout la passion exaltée de la force militaire ? On ne le sait assurément pas encore ; c’est une ère nouvelle qui commence pour l’Allemagne et sans doute aussi pour l’Europe. Pour le moment Guillaume II, entre ses voyages, ses revues, et les cérémonies où il prononce des discours comme celui de Kœnigsberg, est occupé à régler les affaires les plus pressantes avec son parlement. Fidèle à l’inspiration qui a déjà produit les rescrits de février et la conférence de Berlin, il a fait proposer au Reichstag un projet de réforme du travail. Ce n’est point absolument la réalisation de toutes les promesses des rescrits, particulièrement pour la limitation des heures de travail ; c’est du moins un projet assez étendu, assez sérieux pour prouver que l’empereur Guillaume est entré résolument dans la voie des réformes ouvrières. On ne sait pas encore, par exemple, ce qui en sera du projet impérial tout récemment soumis au parlement. Ce projet n’a été examiné jusqu’ici que dans une discussion préliminaire après laquelle il a été renvoyé à une commission. Dès ce premier débat on a pu s’apercevoir cependant que si les propositions impériales étaient accueillies avec sympathie par les socia-