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ces récentes crises où la république a failli périr, qui comprennent qu’il ne faudrait pas recommencer. Ils ne méconnaissent pas absolument l’immense besoin de paix morale, de libérale équité et d’ordre régulier qui est dans la masse française : c’est leur « état d’esprit, » à eux ! Mais ils sont retenus par une fausse honte, par la solidarité de parti. Ils n’osent dire tout haut ce qu’ils pensent. Ils craignent d’avoir l’air de se désavouer et de donner raison à ceux qui les ont combattus, de paraître rechercher l’alliance de leurs adversaires. — Et, en attendant, on s’essaie à tout, on tâtonne, on vit dans l’à-peu-près. On fait des lois qui sont moins des lois que des expédiens. On tente par diversion des réformes sociales qui ne sont qu’un danger de plus, parce qu’elles procèdent d’une complaisance puérile pour des idées fausses, non d’une conception réfléchie. On cherche, on propose, pour se préserver de nouvelles crises, des palliatifs, des remèdes qui ne remédieraient à rien, s’ils étaient adoptés.

C’est précisément ce qui est arrivé avec cette loi sur la presse qui voyage depuis quelque temps entre les deux chambres, et qui est allée échouer l’autre jour, au Palais-Bourbon, dans une discussion nouvelle où elle n’est plus apparue que comme un mesquin et inutile expédient. Elle est morte et enterrée ; elle a surtout reçu le dernier coup d’un jeune orateur plein de mesure et d’éloquence, qui l’a exécutée avec dextérité, — et c’était ce qu’elle méritait ! Assurément la presse s’est livrée, depuis quelques années, aux plus violens déchaînemens, à de révoltans excès. Elle a répandu partout l’outrage, la diffamation, la calomnie. Elle n’a respecté ni la loi, ni la dignité des institutions, ni l’honneur des hommes, ni la vie privée, ni la vie publique. Elle n’a fait en cela, il faut l’ajouter, qu’user et abuser des prétendues libertés qu’on lui a données par la prétendue loi libérale de 1881, de sorte qu’après tout, on a recueilli ce qu’on avait semé. Si, par un tardif retour de sagesse, à la lumière d’une cruelle expérience, on avait voulu reprendre cet ensemble de législation et inscrire dans une loi nouvelle, non pas des restrictions inutiles et surannées, mais quelques garanties sérieuses, préservatrices pour la presse elle-même, soit, c’eût été encore un système. La proposition prenait un autre caractère ; mais c’est ici justement que se manifeste l’étrange « état d’esprit » de certains républicains. Ils veulent et ils ne veulent pas. Ils n’auraient sûrement pas été fâchés de trouver de nouveaux moyens de répression, — à condition, toutefois, de ne pas paraître imiter les procédés des régimes conservateurs. Toucher à la loi de 1881, à une œuvre républicaine, c’était presque un attentat ! Ils s’en défendaient. Ils n’osaient pas aller jusqu’au bout de leur pensée, et alors, pour ménager les apparences, ils se jetaient dans les détours et les subterfuges. Ils imaginaient toutes sortes de distinctions entre la liberté de la presse et la liberté de l’injure. Ils croyaient sans doute ce qu’ils disaient ! Ces