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chœurs : trois timbales, des cymbales seules, d’autres cymbales encore, accouplées à la grosse caisse, trombones, tuba, trompettes ; on souffle dans les uns, on frappe sur les autres à les faire tous éclater ; le Tuba mirum de Berlioz, la scène finale de la Götterdämmerung paraîtraient un murmure, un souffle dans le feuillage, auprès de cet effroyable tintamarre. Si du moins le Paradis nous calmait ! Hélas ! il fait moins de bruit que l’Enfer, mais il en fait encore trop, et du bruit peu agréable. Le chœur des bienheureux est banal, accompagné sans relâche par des accords écrasés et écrasans, d’un rythme haletant, aussi contraires que possible à toute illusion de béatitude et de sérénité. Peut-être trouverait-on de la poésie à la phrase lointaine de Béatrice, à la réponse extasiée de Dante, si déjà l’on n’entendait grincer, miauler ces trois malheureuses notes qui reviendront au dernier acte ; le violon les distille ici pour la première fois, et elles tombent sur chaque mesure du chant de Béatrice comme trois gouttes de vinaigre. Et puis, dans tout ce Paradis, sans parler du reste de la partition, que de harpes, mon Dieu, que de harpes ! C’est une averse continue, un déluge de notes pincées, une interminable pluie de perles ; et ces arpèges incessans donnent à l’instrumentation de M. Godard une couleur de sensiblerie faussement angélique et de mysticisme larmoyant. Harpes et flûtes, flûtes et harpes, avec des intermèdes de grosse caisse et de tuba, voilà toute l’orchestration de Dante ; elle fait gnan-gnan à moins qu’elle ne fasse boum-boum. Les flûtistes s’écorchent les lèvres ; les harpistes, les doigts ; les musiciens de la batterie tapent à tour de bras, et pourtant rien ne se détache, rien ne ressort, tout est gris ; on dirait toujours que cet orchestre ne joue pas.

De M. Lhérie, du moins, on ne dira jamais cela. Il joue un peu moins qu’il ne jouait l’an dernier à pareille époque dans I Pescatori di perle ; mais il joue encore énormément. Il ne chante plus en italien, mais toujours à l’italienne. M. Gibert ménage aussi peu ses notes que M. Lhérie ses gestes ; il déploie une vigueur qui, chose curieuse, n’exclut pas la mièvrerie ; il joint à une voix quelquefois expressive, mais quelquefois aussi brutale, une prononciation un peu mièvre : il rappelle à la fois M. Duc et Mlle Sarah Bernhardt. Mlle Simonnet nous montre une Béatrice dolente et potelée. Mlle Nardi, que l’on voue aux rôles de suivante, s’y dévoue avec autant de zèle que de talent ; elle y fait applaudir des qualités de simplicité et de franchise qui mériteraient un plus haut emploi.

En somme, voilà de pauvre musique, une œuvre inutile et imprudente : œuvre faite à la hâte et à la légère ; indigne d’abord et surtout du redoutable nom qu’elle porte, indigne même des œuvres passées de M. Godard, et peut-être, au moins faut-il l’espérer, de ses œuvres futures.


CAMILLE BELLAIGUE.