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peu compacts, un peu confus aussi, qui sont une histoire de la révolution française et de l’empire presque autant que de la vie et des œuvres de Mme de Staël, mais que nous ne saurions passer sous silence, d’abord parce qu’ils sont pleins de choses, et puis, et surtout parce que quiconque parlera désormais de Mme de Staël ne pourra se dispenser d’y recourir.

Je n’ai jamais eu l’occasion de dire ce que je pensais des idées politiques de Mme de Staël, et, au surplus, je ne l’ai point cherchée. Si je voulais un jour le dire, je me contenterais de développer une seule phrase de Delphine : « Cette révolution, que beaucoup d’attentats ont malheureusement soufflée, — Delphine est de 1802, et l’action en est datée de 1791, — sera jugée dans la postérité par la liberté qu’elle assurera à la France. S’il n’en devait résulter que diverses formes d’esclavage, ce serait la période de l’histoire la plus honteuse, mais si la liberté doit en sortir, le bonheur, la gloire, la vertu, tout ce qu’il y a de noble dans l’espèce humaine est si intimement uni à la liberté, que les siècles ont toujours fait grâce aux événemens qui l’ont amenée. » N’est-ce pas peut-être ce que l’auteur des Origines de la France contemporaine a trop souvent oublié, comme aussi celui de l’Allemagne au temps de la réforme, M. Jean Janssen ? La liberté se paie, comme la gloire ; et ses victoires, comme celles des champs de bataille, se sont toujours achetées chèrement. Pour le rôle que Mme de Staël a joué dans le renouvellement de la critique, l’ayant indiqué déjà plusieurs fois, comme lady Blennerhassett a bien voulu s’en souvenir, on me permettra de n’y point revenir aujourd’hui. Mais ce sont les romans de Mme de Staël, c’est Delphine et c’est Corinne qu’il me semble qu’on a quelquefois négligé d’étudier d’assez près dans cette révision de son œuvre ; et c’est de Corinne et de Delphine que je voudrais parler. Comme dans l’histoire de la critique, ou, pour mieux dire, des idées critiques, Mme de Staël a sa place dans l’histoire du roman, entre Rousseau et George. Sand ; Delphine a la sienne entre Julie d’Étanges et Valentine de Raimbault. Oswald même entre Saint-Preux et Bénédict ; et c’est cette place, que je voudrais essayer de préciser.

Disons-le tout d’abord, et convenons-en de bonne grâce : si l’on ne lit plus guère aujourd’hui les romans de Mme de Staël, c’est qu’ils ont, contre eux d’être mal écrits. « Il sortit de cette chambre où, pour la dernière fois peut-être, il s’était senti aimé comme la destinée n’en offre pas un second exemple, » ou encore : « Il se rappela tout ce que, lady Edgermond avait pu dire de la légèreté de Corinne, et il entra, dans le sens de l’inimitié contre elle. » Ces sortes de phrases, vagues et flottantes en leurs contours, dont le sens inachevé laisse toujours au lecteur quelque chose à suppléer ou à compléter, abondent, dans les romans, et d’ailleurs un peu partout dans la prose de, Mme de Staël. En passant de la phrase déclamatoire et tendue,