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les agens anglais et hollandais, qui leur soumettraient les propositions et se feraient l’interprète de leurs demandes et de leurs réponses. Ordre fut donné à Puisieulx d’employer « les insinuations et les moyens qu’il jugerait convenables pour faire goûter » ce parti mitoyen « et s’il ne croyait pas pouvoir le proposer expressément « d’en faire naître le goût et le désir. » D’Argenson faisait savoir en même temps qu’il allait engager l’Espagne à envoyer de son côté un ministre qui consentirait, lui aussi, à se tenir derrière le rideau, n’ayant de rapport qu’avec la France et observant la même réserve que ses collègues d’Autriche et du Piémont. On aurait ainsi une négociation en partie double dont l’une se passerait sur la scène et l’autre dans les coulisses[1].

Puisieulx, on le conçoit, ne goûta que médiocrement cet arrangement bâtard, et, tout en promettant de s’y prêter, en fit ressortir, sans se gêner, l’impuissance et le ridicule. Pour commencer, était-on sûr que la fierté castillane se prêtât au rôle qu’on voudrait faire jouer au ministre d’Espagne ? Puis il voyait déjà arriver toutes les autres puissances d’Europe, la Prusse, la Russie, Gênes, Modène, venant sans qu’on pût leur reprocher un excès de curiosité, frapper elles aussi à la porte pour savoir, heure par heure, ce qu’on allait dire et faire. Ce serait un véritable congrès, moins les garanties d’une assemblée régulière : — « Vous prendrez, monsieur, disait-il, de toutes ces réflexions peu agréables celles qui vous paraîtront mériter quelque attention. Il est de mon devoir d’exposer la vérité aux yeux du roi et de son ministre. Si je me trompe et que je voie la chose trop en noir, Sa Majesté est plus en état que personne d’en juger[2]. »

Tout en riant sous cape, il trouva pourtant manière de faire agréer la proposition aux Hollandais, aussi craintifs que le ministre français de tout ce qui pouvait brusquer la rupture. Mais restait à obtenir l’assentiment, — non pas de d’Harrach et de Chavannes eux-mêmes, déjà arrivés à La Haye, qui ne pouvaient modifier, sans nouvelles instructions, l’attitude qui leur était prescrite, — mais de leurs cours, qui n’avaient rien prévu de pareil. D’Argenson, de son côté, avait besoin de quelque délai pour faire entrer le cabinet espagnol dans une pensée qui ne pouvait lui plaire. La conférence se trouva donc suspendue de fait, et lord Sandwich ayant transféré en attendant son domicile à La Haye, où il retrouvait le duc de Cumberland et tous les généraux alliés qui y tenaient conseil, Puisieulx

  1. D’Argenson à Puisieulx. 30 octobre 1746. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)
  2. Puisieulx à d’Argenson, 26 novembre 1746. (Correspondance de Hollande. — Conférences de Breda. — Ministère des affaires étrangères.)