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Ce qu’il y a de plus clair dans son histoire, selon M. Alger, c’est qu’elle habita la France de 1786 à 1801, qu’elle fut enfermée à Versailles dans la même prison que le docteur Richard Gem, et qu’elle fit connaissance avec une Mme Myler ou Miglia, veuve d’un Italien, qui avait été réellement prisonnière à Paris, et dont elle s’appropria les aventures, en les embellissant. Même lorsqu’elle parle de ce qu’elle a vu, son témoignage est équivoque. Le docteur Gem, originaire du Worcestershire, était venu s’établir à Paris, dès 1762, comme médecin de l’ambassade anglaise. C’était un homme parcimonieux et un matérialiste militant. Bien qu’en 1790 il eût pris sur son avarice et offert 1,000 francs à titre de don patriotique, il fut arrêté, comme tous les Anglais, au mois d’octobre 1793 ; et, après être resté une semaine au Luxembourg, on le transféra au Collège écossais. A la suite du décret du 3 novembre qui ordonnait que, vu la rareté des docteurs pratiquans, les médecins étrangers seraient relâchés, il alla s’installer à Meudon, où il fut arrêté de nouveau par les autorités versaillaises. Mlle Elliott raconta à lord Malmesbury, en 1796, que le pauvre docteur avait une peur horrible de la mort et qu’il avait employé son temps à pleurer. Dans son livre posthume, elle nous le montre au contraire se couchant à la brune pour économiser la chandelle, se levant dès quatre heures du matin, tant il avait hâte de relire Helvétius et Locke, et la réveillant elle-même à sept heures pour lui prêcher son matérialisme. Libre à tout lecteur d’adopter à son gré l’une de ces deux versions, selon qu’il a plus ou moins de sympathie pour les médecins matérialistes.

Parmi les Anglais qui voulurent voir de leurs yeux ce qui se passait à Paris, plusieurs étaient de simples curieux, des indifférens, et l’indifférence est toujours accompagnée d’un peu de dédain. Ils étaient encore nombreux pendant l’été de 1793 ; certains patriotes se plaignaient qu’ils l’étaient trop, qu’ils pullulaient, qu’ils étalaient un luxe insolent, qu’ils insultaient les Français par leurs redingotes antirévolutionnaires. Quelques-uns s’en trouvèrent mal ; on les prit pour des espions, mais on se contenta de les tracasser, de les molester. D’autres n’étaient pas indifférens ; mais tout en prenant parti, ils étaient discrets, ils évitaient de se mêler trop ouvertement d’affaires qui ne les regardaient point. Il leur suffisait d’ouvrir leurs yeux et leurs oreilles, d’observer beaucoup, de tout remarquer, et leur flegmatique bon sens, que rien ne pouvait démonter, jugeait les hommes et les choses. Tel fut ce ministre unitaire, David Williams, dont on disait que son Credo se réduisait à cette formule peu compliquée : « Je crois en Dieu. Amen ! » Il passa en France l’hiver de 1792, après quoi il fut charmé de retourner chez lui. Il goûtait peu les Jacobins, qui le dénoncèrent comme un dangereux royaliste, parce qu’il trouvait des excuses aux fautes de Louis XVI. Avant de partir, il représenta aux Girondins qu’ils