Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/672

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisse à leurs figures un peu de sécheresse, mais qui leur assure une évidence durable de vie et d’expression. M. Bourgonnier est plus brillant et plus coloriste. On suit de même le progrès du talent chez M. Marec, dont la Veillée nous plaît moins par un de ces effets de lampe, dont on abuse un peu, que par le caractère simple et honnête des figures réunies dans cet intérieur paisible, chez M. Gabriel Biessy, qui méprise trop la solidité du corps, mais qui est décidément un harmoniste délicat dans sa Fille du Graveur et son Décembre.

L’un des tableaux modernes les plus remarqués est le Rêve, de M. de Richemont. La scène est tirée du roman de M. Zola, qui porte le même titre ; à vrai dire, et cela fait son éloge, le tableau n’a pas besoin du catalogue pour être compris. Dans une chambre haute, tendue de blanc, inondée de lumière blanche, une jeune femme en robe blanche, très blanche elle-même, reçoit l’aveu d’amour d’un jeune homme pâle qui se jette à ses genoux. Voilà donc encore un effet général de blancheurs voulues, blancheurs finement nuancées, nous le reconnaissons, mais cependant trop multipliées pour ne pas anéantir les formes. Cette jeune femme et ce jeune homme sont plutôt des visions que des êtres réels. Toutefois il y a, dans les gestes et les visages des deux amoureux, tant de pureté et d’extase d’un côté, tant d’ardeur et de délicatesse de l’autre, et partout une si rare distinction de sentiment et de goût, qu’on oublie volontiers toutes les incertitudes et les mollesses de l’exécution pour se laisser ravir par le charme de la conception. M. de Richemont est un artiste et un poète ; il ne tient qu’à lui de joindre à ces dons de nature un métier plus ferme et plus sûr. Rien de plus monotone, en vérité, que tous ces effets de blancheurs exaltées. Voyez ce qui arrive à MM. Walter Gay et Mac-Ewen, qui nous ont surpris d’abord par les délicates symphonies de leurs gris-blancs. Quand un effet si vif se répète, on n’y prend plus garde, ou plutôt on s’en détourne. La composition un peu fantastique de l’Absente, par M. Gay, n’obtient plus le succès qu’elle mérite, simplement parce qu’elle reproduit trop bien un effet déjà banal. Cependant, il y a une grande profondeur d’expression dans le vieux paysan et dans sa fille, qui, sans se parler, pensent tous deux à l’épouse et à la mère morte, dont l’ombre transparente blanchit sur la blancheur des vitres et des rideaux. La Jeune fille aux géraniums, de M. Mac-Ewen, est encore une aimable apparition ; mais la surface y anéantit aussi le fond. Décidément, il est temps d’en revenir au vieux jeu, au dessin exact, au modelé ferme, même pour les jeunes Américains, qui ne formeront pas une école d’outre-mer, s’ils ne donnent pas plus d’importance à l’observation précise et à la constitution des dessous.