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tableau. Malheureusement, M. Paul Leroy cède encore beaucoup trop à ces deux entraînemens du jour dont l’un consiste à ne plus vouloir marquer les corps sous les draperies et l’autre à répandre, sous prétexte de lumière, une blancheur violente sur toute une composition. L’excès du blanc et l’excès du noir sont également désagréables à l’œil dans la peinture aussi bien que dans la nature ; c’est dans les nuances infinies de la gamme intermédiaire que l’artiste trouve ses moyens les plus personnels et les plus délicats d’expression. Que dirait-on d’un musicien qui frapperait uniquement sur la note la plus basse ou sur la note la plus aiguë de son clavier ? Aujourd’hui, il est de mode de frapper sur la note aiguë.

Les combinaisons de la lumière dans la peinture de genre ne peuvent être qu’un moyen de mettre en valeur les figures qui y jouent un rôle et l’action qui s’y déploie, scène populaire ou familière, idylle, drame ou comédie. Il ne s’agit point, en effet, de faire les pédans et d’interdire aux peintres de savoir plaisanter ou rire à l’occasion, car Frans Hals, Brauwer, Jan Steen, Teniers, les Ostade, se moqueraient vite de nous ; mais plaisanter, comme eux, en peintres, c’est-à-dire plaisanter aux yeux, en même temps qu’à l’esprit, non par le sujet même, mais par la qualité du rendu, par la vivacité de la touche, par la verve du dessin, par l’entrain de la couleur, ce n’est pas chose facile : bien peu y réussissent. Est-il rien de plus glacial que la scène du Malade imaginaire telle qu’elle est présentée, avec une insistance acharnée sur tous les détails, par M. Vibert ? On ne rit plus du tout en ressentant toute la peine que paraît s’être donnée l’artiste, avec une patiente froideur, pour fixer et figer le rire sur des visages vernis et émaillés comme des porcelaines, aux couleurs aigres et discordantes. L’habileté, le talent, l’esprit de M. Vibert, sont hors de cause, mais le système est faux. Les drôleries rustiques de M. Brispot, la Bouteille de Champagne, et de M. Dumoulin, l’Attente, sont amusantes, comme d’habitude, par la gaîté et la justesse d’observation, un peu grosses, sur les types provinciaux ; là aussi, il y a trop de durée dans la plaisanterie, et l’on aimerait que la gaîté y gagnât un peu plus le pinceau. Que dire de M. Zwiller qui donne à une noce comique, Noce à Didenheim, les proportions épiques du lie pas des arquebusiers ? Il y a là quelque chose de tout à fait disproportionné et choquant entre l’insignifiance du sujet compris à la Paul de Kock et l’effort, le temps, la science, le talent que l’auteur a dépensés. La Chanson de la mariée, en Poitou, par M. Jean Brunet, dans des dimensions plus convenables, est aussi l’ouvrage d’un artiste plus délicat, bien que trop attentif à des détails puérils de rendu ; M. Brunet comprend bien la finesse et la grâce de