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fréquemment. Cependant, nous voyons que pendant longtemps les voyageurs y ont été bien plus frappés par la netteté des formes sous la lumière que par leur effacement partiel et momentané. C’est même avec quelque sécheresse que Marilhat et Decamps, avant la révélation d’harmonies plus chaudes faite par Delacroix, ont marqué le découpage des silhouettes sur les fonds clairs. M. Gérôme tient toujours pour l’ancienne manière de voir, qui a son avantage et son inconvénient ; l’avantage, c’est de donner à un dessinateur attentif et scrupuleux l’occasion d’analyser finement, soit le caractère des personnages en scène, soit les nuances du milieu architectural ou pittoresque dans lequel il les regarde vivre ; l’inconvénient, c’est d’enlever aux choses cet aspect chaud, profond et fondu que nous nous sommes accoutumés à demander à la peinture, et notamment à la peinture orientale. Pour un spectateur sans parti-pris, l’Abreuvoir et la Poursuite n’en restent pas moins des œuvres intéressantes et précieuses, l’une par la netteté scrupuleuse et savante avec laquelle sont étudiés ces chameaux et ces chameliers arrêtés devant une muraille brillante de faïences multicolores ; l’autre par la finesse délicate avec laquelle sont marquées, sur les plans solidement étages de l’horizon, les dégradations infinies de la lumière. En Grèce, M. Ralli se rattache tout à fait à M. Gérôme dans sa Prière avant la communion à Mégara. Lord Weecks, M. Deutsch, un Autrichien, ne pensent pas non plus qu’en Orient les seuls éclats de la lumière soient intéressans pour un peintre. Un peu plus de chaleur ne messiérait même pas à leurs toiles, qui n’ont pas la prétention d’être aveuglantes ; mais on y pénètre avec plus de tranquillité pour y rencontrer, devant le Temple d’or d’Amritsar de l’un, dans la Cour de l’Université arabe au Caire par l’autre, des figures exactes et bien observées qui nous renseignent suffisamment sur ces contrées lointaines. Dans notre Algérie, M. Paul Lazerges étudie avec une conscience semblable un campement d’Arabes en plaine, M. Lunois montre un vrai sentiment de peintre dans une étude un peu sommaire : Femmes arabes battant du blé, M. Bompard surtout marche avec éclat sur les traces de Guillaumet dans ses Bouchers de Guelma, M. Paul Leroy y retrouve les élémens d’une composition biblique, les Aveugles de Jéricho. M. Paul Leroy est un des jeunes gens les plus habiles qui se soient révélés en ces dernières années ; il a le sens des harmonies claires et fraîches, il y joint une distinction plus rare dans le choix de ses types et dans l’expression de ses figures. Les Aveugles de Jéricho, une scène purement africaine, dans laquelle Jésus-Christ est un bel Arabe, entouré d’autres Arabes en burnous blancs, deviendraient, avec peu de travail, un excellent