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peuvent devenir, ils deviennent du premier coup, pour un an ou deux, des grands hommes dans les gazettes, chez leur concierge et quelques marchands ! Au Champ de Mars, on rencontre aussi quelques traînards du vieux jeu, les plus célèbres malheureusement, M. Meissonier, M. Ribot, M. Carolus Duran, M. Stevens, qui se rattachent tous sans honte à de glorieux ancêtres ! Parmi les révolutionnaires et parmi les jeunes qui les escortent, il en est même plusieurs qui, à certains jours, rentrent terriblement dans le vieux jeu : ce sont leurs meilleurs momens, disent les mauvaises langues. Mais comme ces dessinateurs entêtés et ces coloristes incorrigibles se trouvent heureusement noyés dans l’océan de brunie qui les entoure, les assiège, les envahit ! Ce n’y sont donc que des exceptions ; l’impressionnisme, le pleinairisme, l’intentionnisme, tout ce qui mène au nihilisme, s’en donne autour d’eux à cœur joie, ne s’étant jamais trouvé à pareille fête. Dans ces pauvres Champs-Elysées, au contraire, c’est à chaque pas qu’on tombe sur les vieux jeux ; comme ils n’ont que deux toiles et que ces deux toiles sont dispersées, ils n’y font ni grand effet, ni grand mal. Cependant, sans parler de M. Bouguereau, le bouc émissaire des péchés académiques depuis la mort du bon Cabanel, n’est-ce pas une calamité d’y trouver, dès les premières, salles, MM. Bonnat, Jules Breton, Chaplin, Cormon, Français, Harpignies, Henner, Jules Lefebvre, Morot, Munkacsy, etc. ? Tout l’alphabet y passe, jusqu’à MM. Wencker, Yon, Zuber ; car on est vieux jeu, sachez-le, dans le paysage aussi bien que dans la figure !

Voyons de près ces misérables ! M. Munkacsy expose un grand plafond de douze mètres en hauteur et en largeur, pour le musée de l’Histoire de l’Art, à Vienne la Renaissance italienne. Remplir avec convenance un pareil espace ne s’apprend pas en contemplant uniquement le reflet d’une fenêtre ou d’une lampe sur la nuque d’une grisette en chemise. M. Munkacsy, à vrai dire, par ses beaux travaux antérieurs, d’un réalisme énergique et d’une touche sombre et violente, ne paraissait point préparé à un travail décoratif de ce genre, qui exige de la variété et du mouvement dans une ordonnance savante et compliquée, de la clarté, de la souplesse, de la vivacité. Il s’en est tiré en praticien expérimenté que les difficultés fortifient, en artiste intelligent et libre, qui saisit toutes les occasions de se renouveler. De la porte d’entrée, d’où l’on peut, à peu près, saisir l’ensemble comme si le plafond était en place, l’effet est juste et agréable. L’œil monte avec facilité sous la grande coupole à jour, d’où descend une Gloire ailée, drapée de jaune, agitant une branche de lauriers. La coupole abrite, groupés sur ses paliers et sur ses escaliers, tout en haut, Jules II examinant les plans de