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pas d’employer souvent l’iota ; c’est de donner le son i à des lettres ou à des groupes de lettres qui ne sont pas des iôta. A cela on peut répondre qu’il y a beaucoup plus de défauts de ce genre dans la langue française, par exemple, ou dans l’anglais ; que l’usage enseigne l’orthographe et que ces défauts n’empêchent pas l’une et l’autre langue d’être commodes et parlées sur toute la terre.

On a proposé, pour établir scientifiquement la valeur ancienne des lettres grecques, de recourir à l’étymologie et à la grammaire comparée. L’étymologie peut donner les formes des mots dans une langue plus ancienne et en dévoiler la première signification. Mais elle ne peut pas donner la prononciation des lettres dans la langue dérivée, puisque le fait même de la dérivation suppose une altération dans les voyelles et souvent dans les consonnes de la langue mère ; si cette altération n’avait pas eu lieu, la langue dérivée n’aurait pas pu naître. C’est ainsi que le grec s’est conservé et qu’il est aujourd’hui tout aussi vivant qu’au temps de Platon et de Thaïs. Du reste, il suffit d’examiner, par exemple, l’italien et l’espagnol pour apercevoir ce qui les distingue du latin, et l’on constate que c’est par l’altération des formes et de la prononciation que ces deux langues sont sorties de la langue latine. L’altération a été bien plus profonde et plus générale dans la formation du français ; on en a vu ci-dessus des exemples. Il est certain que, si l’on prenait les lettres françaises pour types de la prononciation latine, presque tous les a latins seraient prononcés ai ; il faudrait dire que rex, lex se prononçaient roix, loix, puisqu’on dit en français le roi et la loi. On se verrait alors fort en peine en présence de l’italien qui dit : il re et la legge, et de l’Espagnol qui dit : rey et ley ; l’Anglais dit : law, qu’il ne prononce pas tout à fait ni .

Une contre-épreuve moins trompeuse pourrait être fournie par la transcription des mots grecs dans une autre langue ou des mots étrangers en grec. Cette transcription peut donner des renseignemens utiles dans certains cas ; mais tous ces cas ont besoin d’être analysés et discutés. Ou bien il faut admettre entre les alphabets des deux peuples une entière concordance : or il est certain, par exemple, que les aspirées grecques kh, th, et même ph n’avaient pas leurs analogues en latin et ne pouvaient pas être rendues exactement par des lettres latines. Les Romains ont beaucoup reçu des Grecs, l’écriture, les monnaies, les noms des mesures, les termes de la navigation ; mais ils ont presque tout modifié selon leurs besoins ou leurs dispositions particulières. Il n’y a jamais eu de correspondance exacte entre les deux alphabets, entre les deux prononciations ; l’identité n’a porté que sur certaines lettres, communes aux deux peuples. L’alphabet grec, déjà insuffisant pour figurer la langue grecque, n’a aucune aptitude à rendre les mots étrangers,