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Papa-Dimitrakopoulos met sous nos yeux 750 pages de bon grec, où la plupart des formes anciennes sont employées, sans que jamais un Hellène instruit soit arrêté par le sens ou choqué par un aspect archaïque. Je ne cite que ces deux ouvrages ; je pourrais citer presque toute la presse hellénique comme démonstration vivante de l’erreur érasmienne et de la vitalité de la langue grecque. On m’a souvent demandé quelle différence il y a entre le grec ancien et le moderne : étant donné l’état présent de la langue et l’épuration qu’elle a déjà reçue, il faut répondre : il n’y en a pas. Car je n’appelle pas différence l’emploi de den pour ouden, de na pour ina ; l’ancien grec offre de nombreux exemples de pareilles syncopes.

Si le grec est une langue vivante et si les érasmiens se trompent en la traitant comme une langue morte, ils vont plus loin qu’ils ne pensent ; ils commettent une sorte de violation du droit des gens. Les langues, comme toute autre propriété, appartiennent aux peuples qui les parlent ; c’est leur œuvre, le fruit d’un long et laborieux travail. Une nation se fait sa langue à elle-même, comme elle peut ; puis viennent les gens instruits, les maîtres et les écrivains qui, avec beaucoup de peine, souvent d’abnégation, de luttes et d’ennuis, la polissent, la complètent, la rendent apte à exprimer toutes les idées et tous les besoins. Cette propriété est léguée par eux à la communauté, qui en fait un usage quotidien et en tire, comme d’une terre cultivée, toute sorte de fruits. Passe un étranger mauvais, qui ravage le champ, le couvre de pierres et de sable stérile, et fait tout ce qui est en lui pour en faire une terre morte et improductive. Cela peut-il s’appeler raison et justice ? Il faut donc respecter, comme le bien d’autrui, les langues que les hommes se sont données ; il vaut mieux les ignorer que les dénaturer ; en les ignorant on ne fait de tort qu’à soi-même. Mais en imposant arbitrairement une prononciation vicieuse et fausse à la langue d’un peuple qui la parle, non-seulement on paraît infliger un blâme à ce peuple, mais on le séquestre pour ainsi dire du genre humain.

III.

Le but que se proposent les Hellènes et les partisans de leur prononciation nationale n’est pas de remonter jusqu’aux temps homériques. A la Comédie française, où nous conservons notre tradition classique, on ne parle pas non plus comme au temps de Froissart. On veut seulement savoir si l’on prononce aujourd’hui comme au temps de Platon et de Xénophon, ou même comme au temps de Périclès. Ce dernier, qui mourut au commencement de la guerre du Péloponèse, était un peu plus ancien que la réforme de l’orthographe sous l’archontat d’Euclide en 403. On pourrait s’en