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elles se sont perdues et ont été remplacées par des formations bizarres, dégénérées des anciens types ou empruntées à des idiomes étrangers.

Aujourd’hui, dans le monde hellénique, on observe trois états de la langue : la langue populaire, dont les origines multiples se perdent dans le moyen âge ; elle est très barbare ; c’est du grec défiguré rempli de mots reçus des Turcs, des Slaves et des peuples occidentaux ; — la langue qu’on peut dire classique, qui tend à s’épurer par l’élimination de mots étrangers et à récupérer, pour s’enrichir, les formes grammaticales que le peuple a oubliées ; c’est la langue des prosateurs, des savans et des journaux ; c’est aussi la langue officielle ; — enfin une école littéraire, qu’on peut nommer romantique ou klephtique, se propose de conserver dans la poésie le langage populaire des montagnes, dont les chansons des Klephtes ont donné de si intéressans spécimens. Il est à remarquer que les grands écrivains de l’antiquité ont adopté par tradition un système analogue à ce dernier : ils ont écrit en langue classique les dialogues des tragédies et des comédies, mais ils ont le plus souvent composé les chœurs dans quelqu’un des anciens dialectes, surtout dans celui des Doriens ; ils l’ont fait soit pour obéir à une tradition religieuse, soit parce que le dialecte dorien était plus favorable au chant que tous les autres. Quoi qu’il en soit, les trois langues parlées de nos jours dans la société hellène ont la même manière de prononcer les lettres ; les différences locales sont très petites et portent plutôt sur certains mots isolés qu’elles ne s’étendent à des catégories de mots ou de personnes. La tradition embrasse donc la nation hellénique tout entière ; et c’est là certainement un signe d’ancienneté. On peut s’en convaincre par les efforts, assez souvent infructueux, que nous faisons pour propager chez nous la bonne prononciation du français nous ne parvenons pas toujours à empêcher les Gascons de dire moun paire et ma maire pour mon père et ma mère et les Marseillais demain mataïn à la façon quasi-érasmienne. L’unité de prononciation chez les Grecs modernes est un des faits qui militent le plus en faveur de son antiquité.

Nous savons du reste par une foule d’exemples qu’il en était de même chez les anciens Grecs. La variété qui existait entre les dialectes, les lieux et les époques de la langue n’empêchait pas un a d’être toujours prononcé a et ainsi pour les autres lettres de l’alphabet. Par conséquent, dans les changemens que le matériel et l’esprit de la langue subissaient, les élémens phonétiques demeuraient invariables. C’est peut-être cette stabilité, cette persistance dans la sonorité qui a le plus contribué à la conservation de la langue, malgré les invasions étrangères et les asservissemens de la nation. La formation des langues dites novo-latines en est une