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II.

Si la prononciation érasmienne a existé jadis, il eût fallu d’abord le démontrer. D’autres questions se posaient encore. Puisque les Grecs modernes ne la pratiquent plus, il a dû y avoir un moment où elle a cessé d’être en usage ; quelle est cette date ? On a beau remonter dans le passé, on ne trouve pas l’époque d’un changement aussi radical, avant le commencement du XVIe siècle, mais il est en sens inverse. Supposons néanmoins qu’il ait eu lieu : quel est donc l’homme ou le corps savant assez fort pour l’avoir imposé à toute une nation ? L’histoire ne cite personne depuis la réforme d’Euclide, qui eut lieu en l’année 403 avant Jésus-Christ. Peut-être au moins pourrait-on indiquer un concours de circonstances et de moyens, qui auraient causé ou facilité cette révolution. On n’en signale point, à quelques événemens historiques que l’on se reporte. Enfin, il faudrait pouvoir indiquer les avantages que procurait un tel changement, le but que ses auteurs poursuivaient. L’impossibilité de répondre à ces questions résout le problème général et l’on est forcé de conclure que la prononciation du grec, chez les Hellènes de nos jours, n’est pas une création récente, qu’elle a existé dans les anciens temps ou n’a subi dans la suite des siècles que des altérations très petites. Nous les examinerons tout à l’heure.

Nous pouvons déjà affirmer que toutes les questions posées sur l’introduction, prétendue récente, de la prononciation des Grecs modernes se posent également sur la réforme érasmienne. Nous savons sa date, son auteur, les circonstances où elle s’est produite, la résistance qu’elle a rencontrée, le but que l’on poursuivait, enfin les résultats qu’elle a eus et qui se continuent encore sous nos yeux. La lutte est donc entre une création très récente et dépourvue de valeur scientifique et une tradition vivante, qui ne s’est jamais interrompue et que l’on peut presque remonter jusqu’à ses origines. On dira vainement que tout change, les langues comme les autres créations humaines. La question n’est pas théorique et abstraite ; c’est une question de fait, et les documens que nous avons entre les mains sont si nombreux qu’elle peut être résolue avec une probabilité voisine de la certitude. Ce qui a changé en Grèce, ce n’est pas la manière de prononcer les voyelles et les consonnes ; c’est la langue elle-même. Durant les siècles de décadence nationale et de servitude, le peuple n’étudiait plus la grammaire ; il n’apprenait plus à lire et à écrire ; il tombait dans l’ignorance et la barbarie. Les formes savantes de l’ancienne langue ont été oubliées et réduites aux besoins de chaque jour ; plusieurs d’entre