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couverts plus directs que ceux qui partaient du cabinet de son ministre. Il eut l’art de se faire demander des mémoires sur l’état général des affaires dont (pour ne pas être pris en flagrant délit d’intrigue) il avait soin de remettre parfois le double au ministère. Bref, quand son nom fut prononcé au conseil, le roi, qui avait fait tant de difficultés la première fois, n’en éleva cette fois aucune. C’était une surprise qui aurait dû servir d’avertissement[1].

Les instructions qu’on donna à Puisieulx, passablement confuses et, jusqu’à un certain point, même contradictoires, furent de nature à lui laisser toute liberté de se comporter suivant ce qu’il jugerait convenable dans l’intérêt de ses vues personnelles : — « Sa Majesté, disait la dépêche, approuve que dans la négociation qui vous est confiée, vous montriez toute la dignité, et, s’il était besoin, toute la hauteur convenable aux circonstances où nous nous trouvons, mais que vous deviez éviter avec le plus grand soin tout ce qui pourrait rompre la négociation ; car on ne manquerait pas de faire tomber sur nous tout le démérite d’une pareille rupture ; elle répandrait bien de la douleur et de la consternation dans le public, qui fonde sur le succès de vos conférences l’espoir dont il se flatte d’une paix prochaine… Il faut faire observer aux Anglais et aux Hollandais que les succès des Autrichiens en Italie sont bien compensés par le progrès de nos conquêtes dans les Pays-Bas, avec cette différence que nous avons perdu en Italie ce que nous y avions déjà gagné et que nous demeurons en possession du comté de Nice et de la Savoie, au lieu que la reine de Hongrie, qui a perdu la Flandre, le Brabant et le Hainaut, n’a pas pris sur nous un pouce de terrain… Mais encore une fois, quelles que puissent être les réponses et les propositions des ministres d’Angleterre et de Hollande, ne rompez point la conférence ; paraissez occupé du soin d’imaginer des expédiens, faites entendre que vous en rendrez compte au roi, que vous demanderez de nouvelles instructions et des ordres ultérieurs à Sa Majesté… Enfin, faites usage de tous vos talens et de toute votre dextérité pour bien constater aux yeux du public que, si malheureusement la négociation échoue, on ne saurait l’attribuer qu’jà nos ennemis et à leur envie de perpétuer la guerre. » — Il était clair qu’avec le mélange difficile à concilier de hauteur et de patience qui lui était commandé, le négociateur restait libre de hausser ou de baisser le ton, de presser le pas, ou de tout arrêter, suivant que, informé de l’état des esprits à Versailles, il lui conviendrait de faire accuser son ministre de trop de raideur ou de trop de faiblesse[2].

  1. Mémoires et Journal de d’Argenson, t. IV, p. 332.
  2. D’Argenson à Puisieulx, 24 septembre 1746. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)