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transformant en une concurrente redoutable des institutions de banque libres, sur un terrain où son intervention n’est commandée par aucun intérêt supérieur. Il faut, d’autre part, ne pas perdre de vue qu’à toutes les responsabilités qu’elle assume déjà dans le maniement des sommes colossales qui passent et circulent sous son contrôle, il y aurait un danger réel à ajouter une responsabilité nouvelle, très importante, celle dont il est souvent question en ce moment de dépouiller l’institution des trésoriers généraux.

On cite des exemples étrangers, la Banque d’Angleterre, celle de Belgique, d’autres encore, qui font office de percepteurs des impôts et aussi de payeurs des dépenses publiques. On voudrait rendre superflue l’action des trésoriers généraux, intermédiaires si utiles naguère entre le Trésor et le public, en transférant les plus importans de leurs devoirs et de leurs fonctions à la Banque et à ses succursales. Bien de mieux, si on entend modifier le caractère d’établissement privé de la Banque et changer celle-ci en un grand service dépendant directement de l’État et du ministère des finances. Bien de pire si on ne cherche dans cette prétendue réforme qu’un moyen de justifier l’énorme réduction que l’on veut faire subir aux bénéfices des trésoriers généraux.

La principale préoccupation des politiciens qui dirigeaient, il y a deux ans, la première escarmouche contre la Banque sur la question du renouvellement, était d’ailleurs bien moins la recherche des nouveaux services à demander à l’établissement que la fixation du prix à exiger pour la prorogation du privilège. Nous avons déjà montré sous quelles formes multiples la Banque avait payé ce prix, mais ces considérations ne suffisent point pour la partie du public qui se laisse prendre à l’illusion des mots et que l’on a gagnée sans peine à l’aide de cette formule si simple : partage des bénéfices avec l’État.

Le système du partage des bénéfices entre la Banque et l’État compte de nombreux partisans et sera soutenu dans le parlement quand le contrat du renouvellement sera porté devant nos législateurs. Il se recommande par un certain air d’équité qui prévient tout d’abord en sa faveur. L’État, propriétaire du droit d’émission, parce que ce droit est corollaire de celui de fabrication de la monnaie, le délègue à une association particulière, pour laquelle il devient, on le suppose du moins, une source d’importans bénéfices. Les profits appartiennent à cette association jusqu’à un montant déterminé au-delà duquel l’État vient en prendre sa part. Rien de plus logique, ce semble. D’ailleurs, à l’argument d’équité se joint l’argument de fait. Le système est appliqué dans un certain nombre de pays, par exemple en Allemagne et en Autriche. Pourquoi ne le serait-il pas en France où l’État s’est réservé déjà une