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méconnaître, à un moment donné, les lois rigoureuses du fonctionnement du crédit et à dépasser la juste limite dans ses émissions de billets, c’est le public lui-même qui, par ses demandes de remboursement en espèces, viendrait lui rappeler qu’on n’étend pas à volonté le volume d’une circulation fiduciaire. Si, dans ce cas, l’action de la Banque était entravée, si, devant des besoins sans cesse croissans de numéraire, se manifestant par des présentations de papier à l’escompte, et devant une réduction de disponibilités résultant des demandes de remboursement de ses billets, elle n’avait plus le droit d’élever le taux de l’escompte, fût-ce à 8 ou 10 pour 100, une des plus fortes assises de la solidité du crédit de la Banque serait atteinte.

Mais qui songerait aujourd’hui à soulever ces questions, que la seule force des choses, la transformation incessante des conditions économiques, et surtout le développement de la puissance de la Banque, ont résolues de la façon la plus heureuse et la plus nette dans la pratique ? On peut voir ici la démonstration irréfutable de la grande supériorité de l’organisation de la Banque de France sur celle de la Banque d’Angleterre. De l’autre côté du détroit, sous le régime du célèbre Act de 1844, qui a enchaîné l’action de l’établissement anglais dans un lit de Procuste, on en est encore aujourd’hui, comme il y a trente ans, à disserter sans fin sur l’état du marché monétaire et sur les variations probables du taux de l’escompte pendant le trimestre qui va venir. Chaque semaine, les augures consultent les chapitres du bilan de la Banque où se trouvent indiqués le montant de l’encaisse métallique et celui de la réserve totale (billets et numéraire), et selon que ces montans indiquent des réductions ou des augmentations, on pronostique un mouvement nouveau, en haut ou en bas, du taux de l’escompte. Il y a quelques mois à peine, à la suite de retraits d’or successifs et plus importans que de coutume, la Banque d’Angleterre a dû porter son taux officiel, par étapes rapides, à 4 pour 100, puis à 5 pour 100, et enfin à 6 pour 100, niveau où il est resté pendant tout un mois, jusqu’à reconstitution de l’encaisse et de la réserve. Pendant ce temps, la Banque de France a maintenu le taux de l’escompte immobile à 3 pour 100 depuis février 1889, supportant, seule en Europe et sans péril pour ses disponibilités, grâce à l’extrême souplesse de son mécanisme, un écart de 3 pour 100 avec le taux où l’établissement voisin avait dû chercher un refuge. L’expérience a été décisive. C’est la liberté de son allure, la discrétion laissée au conseil général d’établir, en tout temps et en toutes circonstances, entre les demandes du commerce, le montant de son encaisse devenue formidable, et les émissions de billets, une harmonie flexible et sans cesse variable, qui a permis à la Banque, comme nous le disions tout à l’heure, de résoudre