Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/57

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et des grands soupçons (du roi Ferdinand). Pour tout le reste, votre bon esprit vous conduira. Adieu, monsieur. »

Tant de douceur aurait dû réveiller, dans le cœur de Vauréal, le souvenir d’une ancienne affection ; mais le rusé prélat n’avait nulle envie de rentrer en grâce auprès d’un ami qui n’était plus en crédit et dont les jours ministériels étaient comptés[1].

Encore s’il se fût borné à harceler son chef de ces propos irrévérencieux et railleurs, c’eût été peu de chose, puisque d’Argenson était décidé à y opposer ce calme philosophique. Mais il ne tarda pas à trouver le moyen de lui porter un coup plus sensible : ce furent les nouvelles chaque jour plus alarmantes d’Italie, dont le contre-coup se faisait toujours ressentir à Madrid, qui lui en donnèrent la facilité. Repoussées, comme on l’a vu, d’étape en étape jusqu’à l’entrée du comté de Nice, il semblait que là, au moins, les deux armées gallispanes, trouvant une station convenable pour prendre leurs quartiers d’hiver, auraient dû arrêter, de concert, leur mouvement de retraite. Aussi ce fut avec une surprise voisine de la consternation qu’on apprit à Paris, comme en Europe, que le général espagnol, le marquis de La Mina, déclarant, sans dire par quel motif, que la situation était intenable, prenait le parti de se replier plus loin encore avec toutes ses troupes et de les ramener, à travers la Provence, pour hiverner en Savoie. Maillebois, ainsi abandonné avec un effectif que cette désastreuse campagne avait réduit jusqu’à l’insignifiance, dut se retirer aussi lui-même au moins jusqu’au-delà du Var, et c’était la frontière française qui, cette fois, était menacée.

On n’a jamais bien su ce qui avait dicté à La Mina une conduite qui, dans la circonstance, pouvait passer pour une véritable trahison. Y était-il secrètement autorisé par quelque instruction du roi Ferdinand, écrite sous l’empire de l’irritation que lui avait causée le refus de la main de sa sœur, ou bien, comme il le prétendit, prenait-il seulement les devans contre une défection dont il se croyait menacé lui-même, ayant surpris le général de Maillebois en flagrant délit de continuer ses intrigues avec le roi de Sardaigne ? Quoi qu’il en soit, ce fut cette version, parfaitement fausse, que l’évêque de Rennes, chargé de faire à Madrid les représentations les plus énergiques, ne manqua pas d’accepter et même d’accréditer par son assentiment. Il se déchaîna en propos violens contre Maillebois, qu’il accusait d’avoir sciemment desservi l’Espagne pour se venger de ce que, après lui avoir promis la grandesse, on ne la lui avait pas donnée. Ces imputations furent transmises au roi par

  1. D’Argenson à Vauréal, 10 octobre, 23 novembre. — Vauréal à d’Argenson, 3 novembre 1746. (Correspondance d’Espagne. — Ministère des affaires étrangères.)