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gouffre, comme une idée fixe, ayant produit un résultat « d’inhibition » sur l’ensemble de vos idées et de vos forces, il ne reste plus que l’image du grand trou, avec l’ivresse du mouvement rapide qui commence dans votre cerveau et tend à emporter le plateau de la balance interne. La tentation, qui est continuelle chez les enfans parce que tout leur est nouveau, n’est autre chose que la force d’une idée et de l’impulsion motrice qui l’accompagne.

La force d’une idée, nous l’avons vu, est d’autant plus grande que l’idée est mieux triée parmi les autres au sein de la conscience. Cette sélection d’une idée, devenue si exclusive que la conscience entière s’y absorbe, a été appelée monoïdéisme. Cet état est précisément celui où se trouve une personne hypnotisée. L’hypnotiseur fait le vide intellectuel dans le cerveau par le sommeil artificiel qu’il produit, puis, dans ce vide, il introduit une idée, qui, étant presque unique et sans frein, se réalise aussitôt en mouvemens. Ce qu’on appelle la suggestion hypnotique n’est pas autre chose que cette sélection artificielle d’une idée à l’exclusion des autres, si bien qu’elle passe à l’acte. Dans le somnambulisme naturel, même force de l’idée. Le somnambule est celui qui ne pense rien sans l’exécuter non-seulement par le cerveau, mais par les mains et les pieds : le mouvement est alors tellement vif dans le cerveau surexcité, la résistance des organes endormis est tellement affaiblie que le mouvement se communique aux membres par cela seul qu’il a été conçu. L’espèce de rêve dans lequel vivent souvent les enfans n’est pas sans analogie avec le somnambulisme. L’idée-fixe est un autre exemple du même phénomène, qui se produit dans l’état de veille et qui, en s’exagérant, va jusqu’à la monomanie, sorte de monoïdéisme maladif ; les enfans, ayant très peu d’idées, en auraient facilement de fixes, sans la mobilité que cause en eux la perpétuelle nouveauté des choses. Ainsi s’expliquent, selon nous, tous les faits qu’on groupe aujourd’hui sous le nom d’auto-suggestion. Pour notre part, nous généralisons la loi, et nous disons : toute idée conçue est une auto-suggestion, dont l’effet sélectif n’est contrebalancé que par d’autres idées produisant une auto-suggestion différente. Le fait est surtout visible chez les enfans, qui exécutent si vite ce qui leur passe par la tête.

La force de l’exemple, qui joue encore un si grand rôle dans l’éducation, se ramène pareillement à la force communicative et sélective de toute représentation. Enfin nous expliquons de la même manière la seconde forme de la suggestion, celle où ce n’est plus à soi-même, mais à autrui qu’on suggère un acte par l’intermédiaire d’une idée. Ce qu’il y a peut-être de plus intéressant parmi les recherches de M. Guyau, c’est son étude approfondie de cette