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prendra la direction du bras, parce que ce sont les nerfs aboutissant au bras qui ont été ébranlés par la représentation du bras lui-même. En conséquence, le bras se lèvera. Penser un mouvement, c’est le commencer ; or tout mouvement, une fois existant, ne peut se perdre : il se communique nécessairement du cerveau aux organes si quelque autre représentation ou impulsion ne l’arrête pas. Cette propagation du mouvement est assurée physiologiquement par la symétrie des membres, qui tendent à exécuter l’un après l’autre le même mouvement. Le cerveau fournit le thème et les membres le reproduisent. Il y a ainsi sympathie et synergie des organes. La contagion de l’idée aux membres est infaillible si l’idée est seule ou si elle est prédominante. C’est ce que nous appelons la loi des idées-forces.

Nous croyons avoir expliqué ailleurs tous les faits curieux qui se rapportent à l’action impulsive de l’idée. Les expériences bien connues de Chevreul sur le « pendule explorateur » et sur la baguette divinatoire montrent que, si on se représente un mouvement dans un sens, la main finit par réaliser ce mouvement même sans que nous en ayons conscience et par le communiquer au pendule. La table tournante réalise le mouvement qu’on attendait, par l’intermédiaire d’un mouvement réel des mains dont on n’a pas eu conscience. La lecture des pensées (par ceux qui devinent, en vous prenant la main, où vous avez caché un objet) est une lecture de mouvemens imperceptibles, où votre pensée vient se traduire sans même que vous en ayez conscience. Dans les faits de fascination et de vertige, plus visibles encore chez les enfans que chez les adultes, il y a un mouvement commencé que la paralysie de la volonté empêche de suspendre, et ce mouvement peut nous entraîner vers la douleur ou vers la mort. Enfant, je traversais en courant une planche au-dessus du barrage d’une rivière sans avoir même l’idée que je pusse tomber ; tout à coup cette idée vint, comme une force divergente, se jeter à la traverse de la pensée rectiligne qui, auparavant, dirigeait seule ma marche : ce fut comme si un bras invisible m’avait saisi, m’attirait en bas. Je poussai un cri et je restai chancelant, au-dessus de l’eau tourbillonnante, jusqu’à ce qu’on vînt à mon secours. L’idée seule du vertige possible provoque ce vertige. La planche couchée sur le sol que vous traversez n’éveille aucune idée de chute ; quand elle est au-dessus d’un précipice et que vous mesurez du regard la distance jusqu’au fond, la représentation du mouvement de chute est intense, l’impulsion à la chute est donc intense, et elle ne peut être arrêtée que par un effort intense. Même si vous êtes en sûreté, il peut encore y avoir ce qu’on appelle l’attrait de l’abîme. La vision du