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sciences sociologiques sera le caractère dominant du prochain siècle. C’est donc dans son rapport à la société entière, à la race et à la nationalité, qu’il a considéré l’éducation. Il a pris la question de haut et l’a posée sous une forme vraiment scientifique : — Étant donnés les mérites et défauts héréditaires d’une race, dans quelle mesure peut-on, par l’éducation, modifier l’hérédité existante au profit d’une hérédité nouvelle ? — Car il ne s’agit de rien moins : ce ne sont pas seulement des individus qu’il faut instruire, c’est une race qu’il faut conserver et accroître. La nationalité même est encore un héritage moral et une hérédité physiologique : c’est donc sur les lois physiologiques et morales de la culture des races que doit reposer l’éducation. On ne le méconnaît pas quand il s’agit d’élever les animaux utiles ; on l’oublie dès qu’il s’agit des hommes, « comme si l’éducation humaine n’avait plus affaire qu’à des individus. »

Le point de vue ethnique nous semble le vrai. Il faut, par l’éducation, créer des hérédités utiles à la race physiquement et intellectuellement ; outre l’hérédité cérébrale et physiologique, il faut encore assurer ces formes d’hérédité sociale qui sont la tradition, les mœurs, la conscience sociale, l’opinion publique. La société, en effet, est un organisme doué d’une certaine conscience collective, quoique non concentrée en un moi ; nous considérerions donc volontiers comme une forme d’hérédité et d’identité organique à travers les âges tout ce qui maintient chez un peuple une continuité de caractère, d’esprit, d’habitudes et d’aptitudes, en un mot, une conscience nationale et une volonté nationale.

Une fois admis que le but dernier de l’éducation est d’assurer le développement de la race, il faut se demander quels sont les meilleurs moyens d’y atteindre. Il en est un que nous voudrions principalement mettre ici en lumière : c’est la sélection. L’histoire de l’humanité nous montre la lutte des races, des nationalités, des individus, non pas seulement pour la vie, — comme on le répète sans cesse par une interprétation étroite du darwinisme, — mais encore pour le progrès de la vie sous toutes ses formes, y compris la vie intellectuelle, esthétique et morale. On parle beaucoup aujourd’hui de la lutte pour la vie ; on se hâte de transporter imprudemment au sein de l’humanité les lois formulées par Darwin pour le règne animal ; on oublie les métamorphoses que subit la sélection en passant du domaine des forces brutales dans le domaine des forces intellectuelles et morales. Toutes les conséquences plus ou moins scandaleuses qu’on a tirées du darwinisme tiennent à ce vice de raisonnement et consistent à croire que le triomphe de la force la plus puissante est toujours celui de la force la plus brutale. Il faut donc comprendre à la fois les analogies et