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par les puissances intéressées dans les emprunts égyptiens. C’est la mise en action du contrôle européen ! Dernière condition, enfin : l’Angleterre, conseillère et inspiratrice du gouvernement du khédive, proposait de fondre en une seule et même dette tous les titres qui existent en Égypte, dette privilégiée, daïra, domaines ; la France demande le maintien de la distinction entre ces dettes d’origine diverse qui ont pour ainsi dire leur existence indépendante, leur administration et leurs garanties spéciales. En un mot, par l’acceptation du principe de la conversion, la France fait la concession essentielle et enlève tout prétexte à ceux qui ne cessaient de l’accuser de retarder une réforme bienveillante pour l’Égypte ; par les conditions qu’elle met à son acceptation, elle sauvegarde tous les intérêts. De toute façon, M. le ministre des affaires étrangères a su habilement simplifier la situation.

Reste toujours sans doute la question épineuse de l’occupation qui est au fond de tout. Cette question même, elle n’est point oubliée, elle est réservée ; elle se traite à l’heure qu’il est, dit-on, entre la puissance suzeraine de l’Égypte, la Porte ottomane et le cabinet de Londres. Tout dépend de cette négociation délicate. Que les Anglais ne soient pas pressés de quitter la vallée du Nil où ils règnent à peu près en maîtres depuis quelques années, c’est bien évident. Il est certain que les agens britanniques se trouvent bien au Caire, et le premier de tous, sir Evelyn Baring, dans un rapport assez récent, s’efforçait de démontrer la nécessité de prolonger l’occupation. Le gouvernement anglais lui-même cependant n’a cessé de déclarer que cette occupation n’était que temporaire, que la mission de l’Angleterre devait finir avec le rétablissement de l’ordre en Égypte. L’ordre n’est-il pas rétabli ? Les ministres anglais sont les premiers à se faire un mérite des progrès qui ont été accomplis sous la prépotence britannique. Les mesures financières qu’on propose aujourd’hui, sur lesquelles on semble près de se mettre d’accord, sont elles-mêmes présentées comme un complément de la réorganisation égyptienne, comme la condition d’une situation régulière. Comment concilier avec ces déclarations, avec cet état de choses, l’obstination que mettraient aujourd’hui les Anglais à s’éterniser sur le Nil ? Ils ne pourraient plus guère invoquer que le commode axiome du Beati possidentes. On n’en est peut-être pas encore au point où cela pourrait suffire pour toutes les puissances, où l’Europe verrait sans s’émouvoir l’Égypte passer au rang d’un état de Lahore sous le protectorat de l’empire britannique !


CH. DE MAZADE.