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compositions religieuses, et l’on sait de reste avec quelle supériorité il a traité un genre de musique que, depuis Gossec, Le Sueur, dans notre pays, avait à peu près seul osé aborder[1] ; mais peut-être ne sait-on pas aussi généralement qu’une circonstance toute fortuite amena ce changement dans la direction de ses travaux et que, en quittant le théâtre pour l’église, Cherubini obéit bien moins à un calcul de sa volonté qu’à une inspiration suggérée d’abord par autrui.

Malgré tous ses succès dramatiques, malgré même son origine italienne, qui d’ordinaire était, en matière de musique, la recommandation la plus sûre auprès de Napoléon, Cherubini n’avait nullement réussi à se concilier la bienveillance impériale. Fort mauvais courtisan, il est vrai, mais artiste profondément convaincu, il n’avait pas craint, dans quelques conversations avec l’empereur, de refuser très nettement de souscrire aux opinions musicales émises par celui-ci. Un jour même où son auguste interlocuteur vantait, à l’exclusion du reste, la musique « capable de le bercer doucement, » il lui avait fait cette verte réponse : « Je comprends. Votre Majesté n’aime que la musique qu’elle peut entendre sans s’occuper d’elle et sans cesser de songer aux affaires de l’état. » Napoléon avait puni Cherubini de son indépendance en le tenant obstinément à l’écart des faveurs qu’il répandait sur des musiciens d’humeur plus complaisante ou d’une science moins rébarbative à ses yeux. Non-seulement il arriva au terme de son règne sans avoir accordé au compositeur le plus éminent de tous ceux qui survivaient alors à Méhul, cette croix de la Légion d’honneur dont il n’avait pas hésité, dès l’institution de l’ordre, à récompenser l’agréable talent de Dalayrac ; mais ses préventions à l’égard de Cherubini étaient devenues assez publiques pour que, de peur de quelque disgrâce personnelle, les directeurs de théâtre eux-mêmes s’abstinssent de représenter les ouvrages d’un homme aussi mal en cour.

Ainsi dépossédé sous l’empire de la situation que ses premiers succès lui avaient acquise, réduit pour toutes ressources au modique traitement d’inspecteur au Conservatoire, Cherubini avait presque renoncé à produire. Pour faire diversion à ses chagrins, il partageait son temps entre la pratique, d’ailleurs assez peu heureuse, du dessin, et l’étude de la botanique, dont il avait pris le goût dans un séjour à la campagne, chez le prince de Chimay. Or

  1. Quelques-unes des œuvres de musique religieuse dues à Le Sueur, sa Messe de Noël entre autres, — la plus originale peut-être de ses productions en ce genre, — sont antérieures à l’année 1790, tandis que la première Messe de Cherubini, la Messe à trois voix en fa, acte composée par lui en 1809.