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les attribuer tout uniment à la fatigue, à l’espèce de satiété que finissent par ressentir, à un moment donné, des regards devant lesquels ont passé sans relâche des centaines et des centaines de tableaux. ? J’en appelle sur ce point aux souvenirs de quiconque a fait partie d’un jury de peinture pour les expositions, à quelque époque et à quelque titre que ce soit ; il saura par expérience quelles distractions on peut avoir, malgré la meilleure volonté du monde de rester attentif et équitable jusqu’au bout. Comme tous ceux qui ont été après eux chargés des mêmes fonctions, les membres du jury en exercice au temps de la monarchie de juillet ont pu n’être pas toujours infaillibles : mais ce qu’il faut bien reconnaître, ce qu’il n’y a que justice à proclamer, c’est que, dans la mesure où elles se sont produites, leurs défaillances n’ont jamais été préjudiciables à des œuvres tout à fait importantes par leurs propres mérites ou par les longs efforts qu’elles avaient coûtés.

En tout cas, à l’époque où ils composaient seuls le jury officiel, les membres de l’Académie des Beaux-Arts ne songeaient guère à faire acte de courtisans, puisqu’il leur est arrivé plus d’une fois de refuser d’admettre au Salon des tableaux commandés par le roi pour le musée de Versailles. Ils condamnaient ainsi implicitement, — ou les choix qui s’étaient portés sur des artistes encore inexpérimentés, — ou l’indulgence, compromettante pour la dignité du nouveau musée, dont l’administration se rendrait coupable, si elle donnait place dans le palais à des ouvrages défectueux en eux-mêmes, bien qu’ils portassent les noms d’artistes recommandés par des succès antérieurs. « Il y a trop d’Autrichiens dans le ciel, » disait Horace Vernet pour justifier le rejet d’une certaine Bataille dont M. Jules Dupré avait peint le paysage et dans laquelle des nuages figurés par des touches blanchâtres, heurtées, mal à propos violentes, rappelaient en effet le tumulte des troupes autrichiennes engagées sur le terrain et la couleur de leurs uniformes ; mais en même temps Horace Vernet et ses confrères s’empressaient d’applaudir à l’heureuse transformation du talent de M. Couder, qui avait renoncé aux doctrines un peu étroites de sa jeunesse pour peindre des tableaux d’une signification pittoresque aussi franche et d’un faire aussi large que la Bataille de Lawfeldt, la Prise de York-Town en 1781 et l’Ouverture des États-Généraux en 1789. Enfin, par leurs propres travaux, par les toiles où ils avaient retracé, pour l’ornement du palais de Versailles, soit des événemens anciens de notre histoire, soit des faits de guerre récemment accomplis, les membres du jury ne prêchaient-ils pas assez, bien d’exemple pour avoir le droit de se montrer sévères à l’égard de ceux qui comprenaient mal leur tâche ou qui s’en acquittaient négligemment ?