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lendemain du meurtre de Basseville, les mêmes préjugés, les mêmes passions aveugles avaient poussé la populace romaine à se ruer sur l’Académie de France, d’où les pensionnaires, dépourvus de tout moyen de défense et menacés de mort, n’avaient pu s’échapper qu’à grand’peine. Le souvenir de ces violences passées et, dans le présent, les sinistres avertissemens qu’apportaient chaque jour des lettres anonymes, n’autorisaient-ils pas amplement Vernet à prémunir contre une agression éventuelle le grand établissement dont il avait la garde et à en mettre le personnel en état, le cas échéant, d’y résister ? Le directeur de l’Académie de France entendait d’ailleurs faire assez ostensiblement ses préparatifs pour donner à penser à ceux qui eussent été tentés d’engager la lutte. Aussi, quand il se fut approvisionné en quantité suffisante de poudre et de fusils, ne manqua-t-il pas de rapporter le tout à travers les rues de Rome, en voiture découverte ; de même que, les jours suivans, sous prétexte de régime hygiénique, il exerçait publiquement les pensionnaires au maniement des armes dans les jardins de la villa Médicis.

Peut-être, il faut bien le dire, les mesures prises par Vernet, si opportunes qu’elles fussent, n’avaient-elles pas pour principe unique les conseils de la prudence ; peut-être s’y mêlait-il quelque chose d’une satisfaction donnée à ce besoin d’activité personnelle si naturel chez lui, à ces instincts militaires qui, jusqu’alors, avaient le plus habituellement inspiré son talent, et qui devaient plus tard le pousser à se faire en Afrique le compagnon de nos officiers dans leurs expéditions ; plus tard encore, à briguer l’honneur d’être placé comme colonel à la tête d’une légion de la garde nationale. Quoi qu’il en soit, le résultat essentiel fut obtenu. L’Académie de France ne cessa pas un moment d’être respectée, dans son indépendance morale aussi bien que dans ses conditions matérielles. Lorsque, au dehors, toutes les inquiétudes furent dissipées, toutes les agitations de l’esprit public calmées, elle reprit, pour les garder jusqu’à la fin du directorat de Vernet, cette physionomie d’élite, ce caractère de « salon de l’Europe, » — comme Mme de Staël le disait de Rome même, — qu’elle avait eus au commencement, et dont le souvenir, malgré le temps écoulé, ne s’est effacé encore ni à l’étranger, ni chez nous.

Le contraste au surplus allait être grand entre le brillant règne, maintenant achevé, de Vernet, et celui de l’austère successeur que