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impériale et royale, a légalement disparu. C’était à l’origine, telle que la firent la loi de 1806 et des décrets de 1808, une corporation laïque, vouée à l’enseignement, investie du monopole : de l’enseignement, ayant ses biens propres, son budget indépendant, sa juridiction spéciale, son conseil et son grand-maître. La Restauration fit brèche en elle en transformant son grand-maître en ministre. Le Gouvernement de juillet élargit la brèche, en fondant son budget dans le budget de l’État. Enfin la loi du 15 mars 1850 la démantela complètement. Son monopole fut supprimé ; sa dotation fut biffée du grand-livre ; ses biens furent incorporés. au domaine public ; son nom même fut rayé par prétérition. Lisez cette loi de 1850 : pas une fois vous n’y rencontrerez le nom d’Université. Ce qu’elle crée et ce qu’elle organise, c’est un double régime d’enseignement, d’un côté l’enseignement privé, de l’autre, l’enseignement de l’État. Celui-ci, elle l’appelle l’instruction publique et non plus l’Université ; son chef, ce n’est plus le grand-maître, c’est le ministre de l’instruction publique ; son conseil suprême, ce n’est plus le conseil de l’Université, c’est le conseil de l’Instruction publique, et, pour la première fois, il y entre des membres étrangers à l’enseignement. A partir de 1850, c’en est donc fini de la corporation impériale. Elle a fait place à une hiérarchie administrative, et il me reste plus d’elle qu’un nom, expression courante, dont on se servira désormais pour désigner l’enseignement de l’État par opposition à l’enseignement privé.

Mais eût-elle continué d’exister, qu’il n’y aurait ni contradiction, ni péril à ce que, tout en restant l’Université de France, elle comprît les Universités de Paris, de Lyon, de Bordeaux, de Montpellier, d’autres encore, comme la France comprend Paris, Lyon, Bordeaux, Montpellier. Remarquez en effet qu’il ne s’agit pas ici de l’unité absolue des philosophes, laquelle n’est pas de ce monde, mais bien de l’une de ces unités, concrètes et changeantes, toujours relatives, qui ne sont autre chose qu’un groupement d’éléments multiples et divers. Or, il n’y a pas pour ces groupemens de type absolument immuable ; ils se font de façons fort différentes, suivant les temps, suivant les lieux, et de ces façons la meilleure est celle qui sort de la réalité même et du développement organique des choses. Fait remarquable, en 1807, ce fut tout d’abord en Universités régionales que l’on proposa de subdiviser l’Université impériale dont la loi venait de décréter l’unité et l’indivisibilité. Et plus tard, lorsque Guizot et Victor Cousin songèrent sérieusement à créer des Universités provinciales, ce n’était pas, je pense, pour ruiner l’Université, eux qui avaient défendue en toute occasion, et plus d’une fois sauvée de périls imminens.