Page:Revue des Deux Mondes - 1890 - tome 99.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en était fondé une, à Douai, par Philippe II d’Espagne, pour un semblable objet. De nos jours, l’Allemagne n’a pas eu de souci plus pressant, à peine les remparts de Strasbourg agrandis, que d’élever derrière eux une vaste Université, comme une forteresse avancée contre l’esprit de la France. Elle savait par expérience ce que peuvent les Universités sur les esprits, et comment elles contribuent à former l’âme des nations.

Les manifestations de cet office national varient sans doute suivant les pays et suivant les époques ; mais toujours elles consistent à mettre dans la jeunesse un idéal commun, à lui inspirer collectivement des façons de penser et de sentir qui soient à la fois un lien et une force. Cela, on ne saurait l’attendre au même degré des Écoles spéciales et des Facultés solitaires. Quand elles créent un esprit collectif, c’est l’esprit de corps, — et l’esprit de corps, si large qu’il puisse être, est exclusif et incomplet. Si l’École normale fait exception, cela tient précisément à ce qu’elle est un microcosme scientifique, où vivent mêlés des philosophes, des historiens, des littérateurs et des savans. Mais il n’y a pas seulement en France ses cent trente élèves : il y a les seize mille jeunes gens qui s’ouvrent à la vie d’homme dans les Facultés. Pour ceux-là, qui seront en majorité les cadres de demain, il importe au plus haut degré, surtout par ce temps de démocratie d’être élevés au large ; dans la vive atmosphère de la science, et non dans l’air confiné d’un compartiment du savoir.

« L’organisation de notre haut enseignement est vicieuse, écrivait, il y a quelques années, le père Didon dans son livre sur les Allemands ; elle produit fatalement la division dans l’ordre intellectuel ; et, par voie de conséquence, dans l’ordre politique et social. Tant que cette organisation ne sera pas réformée, nul progrès, nul essor puissant n’entraînerai le pays dans des voies nouvelles et meilleures. » J’ai tenu à citer ces paroles, parce qu’elles renferment un grand fonds de vérité. Ce n’est pas qu’il faille s’en remettre aveuglément à la science du soin de pacifier et de rapprocher les esprits. Dans cette œuvre nécessaire, la science, j’entends la science positive, celle qui est constituée d’une façon définitive, peut beaucoup ; mais elle ne peut pas tout, et encore faut-il qu’on se rende un compte exact de ses effets et qu’on n’ait pour elle qu’une foi sans idolâtrie.

Une première illusion serait de croire que, par une sorte de vertu naturelle et irrésistible, la science met l’unité dans les esprits par cela seul qu’elle y pénètre. Par essence, elle est unité. Elle ramène à des lois de plus en plus générales un nombre sans cesse croissant de phénomènes divers. Pour les sens, le monde est un