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monterez en voiture ici sans rentrer chez vous. Envoyez un mot à votre femme pour qu’elle ne s’inquiète pas. Vous arriverez la nuit dans la cour du ministre de la guerre. Avant de descendre de voiture, vous le ferez avertir qu’il vienne vous parler ; vous lui demanderez une chambre et vous resterez chez lui sans que personne sache que vous êtes à Paris. A vous deux, vous expédierez sur-le-champ les ordres nécessaires pour que tout se fasse comme je l’ai réglé. Je passerai encore huit ou dix jours à Boulogne ; quand je reviendrai, je veux que toute cette besogne soit faite.

On s’est souvent demandé pourquoi l’empereur avait paru dédaigner les propositions de Fulton. Mais hormis dans les fabriques de coton, la vapeur n’était pas encore perfectionnée au point d’être d’une grande utilité pratique. Fulton offrait pour la navigation une machine de force minime qui ne faisait mouvoir qu’une petite chaloupe. L’empereur n’avait pas le temps d’attendre pour la descente en Angleterre qu’il l’eût rendue applicable aux gros navires. J’ai assisté à cet essai sur la Seine devant les Invalides.

C’était à la paix et à l’industrie qu’il appartenait d’obtenir les immenses résultats des inventions divulguées déjà avant l’époque de la révolution et de la guerre. L’expérience sur le Rhône du bateau de M. Jouffroy précéda en effet 1789. Les grandes usines se servaient de rails pour leur service intérieur, et j’ai vu à l’Arsenal, en 1799, un chariot mû par la vapeur. La même année, un ingénieur illumina sa maison par le gaz, répétant en grand une expérience dont on amusait les leçons de physique.

Il ne fallait pas beaucoup de réflexion pour deviner que ces premières découvertes ne tarderaient pas à se développer. C’était un sujet habituel de conversation à l’École polytechnique. Dans les Lettres d’un Chinois par le duc de Lévis (1812), apparaissent toutes les merveilles futures des chemins de fer. Mais lorsque des convulsions intérieures préoccupaient tous les esprits ; lorsque la guerre absorbait toute l’activité nationale ; quand le commerce et l’industrie n’avaient aucune sécurité, que le crédit public n’existait pas, ni par conséquent le crédit commercial et le jeu des gros capitaux, toutes les grandes inventions restaient en germe. Sans la révolution française, avec un gouvernement raisonnable et les libertés conçues par Turgot et Necker, l’ère industrielle serait advenue quarante ans plus tôt. On y tendait déjà au commencement du règne de Louis XVI.

DE BARANTE.