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Nous jugeâmes donc ce travail inutile. Parmi les pièces envoyées du ministère de la guerre, nous remarquâmes la lettre d’un général, alors en inspection. Il avait écrit son vote à Orléans, puis à Angers et enfin à Nantes, où il se rendait, persuadé que cet excellent exemple ne serait pas blâmé.

La proclamation de l’empereur, le changement de la constitution, la création d’une cour, ne détournaient pas l’attention du procès de Moreau, de Cadoudal et de ses complices. L’empereur désirait maintenant voir Moreau condamné à mort, afin d’avoir la magnanimité de le gracier. L’accusé se défendit avec dignité dans les interrogatoires, il prononça un discours qui eut beaucoup d’effet : c’était Garat qui l’avait composé. Les juges résistèrent aux efforts tentés pour obtenir de leur complaisance une peine capitale. La volonté de l’empereur pesait si ostensiblement sur le tribunal que l’intérêt du public se porta sur les accusés. MM. de Polignac et de Rivière firent preuve d’un tel dévouement à leur cause et aux princes émigrés qu’on excusait leur obéissance. La fermeté, la courageuse résignation, la noble attitude de Cadoudal inspirèrent une émotion véritable à tous ceux qui assistèrent à l’audience.

L’empereur n’en témoigna aucun mécontentement, hormis de l’acquittement de Moreau. Il ne s’irrita point de la pitié générale et sembla même s’y associer. Il y avait condamnation, la bataille était gagnée, et il pouvait se montrer généreux pour les vaincus. Tout son entourage de famille sollicita la grâce de M. de Polignac et des autres émigrés ; on assura même que Murat lui parla pour Cadoudal. Malgré les remises de peines accordées, ce dernier et onze de ses complices furent exécutés. Triste journée, qui flétrit pour quelque temps la prise de possession de l’empire !

La mort du duc d’Enghien, le procès de Moreau, douze têtes tombant le même jour sur l’échafaud, la consultation dérisoire du suffrage universel ; cette cour copiée sans ressemblance sur celle que la révolution avait détruite, n’attachaient guère le pays au nouvel ordre de choses. Il n’existait toutefois aucun sentiment de révolte, on ne souhaitait pas le renversement de l’édifice.

Pour donner une consécration plus efficace à son élévation au trône, l’empereur voulut que le pape vînt à Paris sanctifier son couronnement.

Pie VII ne se rendit pas volontiers à son invitation ; il craignait de se mettre entre les mains puissantes d’un souverain qui n’avait jamais ménagé le chef de l’Église que par des motifs politiques. Mais quelles conséquences pouvaient avoir son refus ? L’Italie était sous la dépendance de Napoléon ; que deviendrait le pouvoir temporel ? peut-être pensait-il déjà à le supprimer ? Le pape se résigna, l’empereur lui fit un pompeux accueil. La population