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-dance. Il n’en était pas ainsi pour Pichegru, vendu aux émigrés et qui avait eu la pensée de joindre son armée à celle du prince de Condé. Toutefois, ses victoires, la conquête de la Hollande, la répression des émeutes qui menacèrent la Convention, son rôle avant le 18 fructidor et sa déportation faisaient de lui un personnage considérable. Le premier consul, prévoyant que, s’il figurait au procès, l’intérêt public se porterait sur lui, fit offrir à Pichegru le gouvernement de la Guyane ; il déclina cette proposition.

Cadoudal se dérobait toujours aux recherches. Une loi prononça la peine de mort contre quiconque donnerait asile au « nommé George et aux soixante brigands cachés à Paris, soudoyés par l’Angleterre pour attenter à la vie du premier consul et à la sûreté de la république. » Le prévenu devait être jugé et puni comme coupable du crime principal. Munie de cette arme, la police déploya une activité formidable, Paris se crut ramené au temps de la Terreur. Cet effroi était exagéré. Ce qui est vrai, c’est que les investigations de la police furent, pendant un mois, une cause de vexations pour tous. Il y avait sans cesse et partout des visites domiciliaires exécutées sans discernement avec une rigueur inutile et stupide. J’en puis citer un exemple. J’habitais une maison tranquille, dont les locataires ne donnaient lieu à aucun soupçon. Des agens l’envahirent à six heures du matin ; l’un d’eux entra dans ma chambre, me réveilla et me demanda mon passeport. Je lui dis que je n’étais pas en voyage, il me répliqua que tout individu devait en avoir un, sinon une carte de sûreté ; puis il me signifia que j’allais être conduit au dépôt de la préfecture de police. Je m’habillai et je montai en fiacre avec deux autres habitans de la maison, coupables du même délit que moi, un jeune peintre élève de David et un domestique. Nous fûmes jetés au grand dépôt, pêle-mêle avec les filous, puis interrogés assez rudement. On me permit pourtant d’envoyer un mot. Le jeune artiste, sur une démarche de David, ne tarda pas à être relâché. M. Benoist, en recevant mon billet, écrivit pour moi. Le chef de division de la police ne trouva pas que le ton de la lettre eût assez de courtoisie et me dit aigrement, lorsque je lui appris que j’étais surnuméraire au ministère de l’intérieur :

— Oui, on vous réclame de puissance à puissance.

Et il me réintégra au dépôt.

M. Benoist, averti par le jeune peintre, vint alors en personne. Il s’adressa à un employé supérieur qui me rendit la liberté après nous avoir raconté les prouesses de ses agens, qui avaient mis la main sur de redoutables chouans. Au bout de vingt heures, je sortis de prison et j’y laissai beaucoup de pauvres gens, qui, sans protections, étaient là depuis huit jours.

Ce zèle de la police eut un plein succès. Tous les chouans et les