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sur le chiffre de laquelle on n’est pas d’accord. L’Église, pour se soustraire au fisc royal, n’était jamais sincère dans les déclarations officielles de ses revenus, que chaque abbaye, chaque évêché, présentaient comme inférieurs à ce qu’ils étaient réellement. L’Etat, aussitôt qu’il lut devenu propriétaire de cette gigantesque manse ecclésiastique, la laissa fondre entre ses mains ; elle fut dispersée, mangée ou à peu près en dix ans, sans qu’on puisse savoir quelle en eût été la véritable valeur vénale, si elle avait été réalisée par un possesseur ordinaire. J’ai estimé ailleurs, après examen minutieux des documens, les biens de l’Église, au jour de sa spoliation, à 7 milliards en capital, et à 240 millions environ en intérêts. Ces biens, immeubles pour la plupart, avaient profité de l’énorme augmentation de valeur et de revenu des terres durant les vingt dernières années de l’ancien régime, puisque le clergé était le plus grand propriétaire foncier du royaume. Il se peut que ces chiffres paraissent exagérés ; ils sont en tout cas beaucoup plus près de la vérité que les indications, volontairement affaiblies, de l’époque révolutionnaire.

Rechercher l’origine de ces biens et chicaner le clergé sur ses titres, comme on a fait parfois, ce serait remettre en question toute la propriété française ; celle-là n’était ni plus ni moins solide que les autres ! Presque exclusivement féodale, — le clergé avait plutôt aliéné qu’acquis dans les temps modernes, — elle avait dû se ressentir de la barbarie de l’époque où elle était venue au monde. Sans doute, parmi les innombrables donations qui l’avaient constituée, il y en avait eu dont la régularité était problématique ; des seigneurs, du Xe au XIIIe siècle, avaient pu donner aux églises ce qu’ils n’avaient pas ou ce qu’ils n’avaient plus. Un laïque gratifiait un monastère de ce qu’il possédait a à droit ou à tort, justement ou injustement. » Les anciens détenteurs, parfois tout récemment dépouillés, n’admettaient pas que le transfert de leur bien à de pieux personnages pût en légitimer le vol. Au lieu du ravisseur, c’était aussi la victime qui, violemment évincée de sa terre, et ayant perdu l’espérance de la recouvrer, se décidait, sans s’imposer par là un grand sacrifice, à transporter ses droits méconnus à un couvent ou à un chapitre qui réussissait toujours à tirer profit de la cession. En 1790, la mort avait depuis longtemps terminé toutes ces querelles, une vingtaine de générations s’étaient succédé, une prescription six ou huit fois centenaire garantissait à chaque établissement religieux la propriété du lot qui lui était échu.

La propriété, mais non la jouissance. Les rois, depuis le concordat de 1515, avaient su dépouiller l’Église sans la faire crier ; le droit de nomination aux évêchés, concédé par Léon X à François Ier, et l’usage des « commendes, » appliqué aux « bénéfices »