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prodigieusement déconcerté la plupart des catholiques, ne sont pas d’ailleurs une nouveauté dogmatique, Bossuet, dont feu M. Guichard, député de l’union républicaine, aimait à s’inspirer dans la confection des rapports canoniques qu’il présentait au parlement, nous déclare que « l’Église doit avoir, comme la Synagogue, ses David, ses Salomon, dont la main royale lui serve d’appui, » qu’elle a « appris d’en haut à se servir des rois et des empereurs pour faire mieux servir Dieu, donner une force plus présente et un soutien plus sensible à sa discipline… » Il est nécessaire, selon lui, que l’État mette au service de la religion sa puissance répressive, poursuive et punisse les hérétiques comme les voleurs, les impies comme les meurtriers : « Que ceux qui n’ont pas la foi assez vive pour craindre les coups invisibles de notre glaive spirituel tremblent à la vue du glaive royal… » C’est ainsi que l’Église entendait « la concorde du sacerdoce et de l’empire, » aux derniers siècles ; c’est encore ainsi qu’elle l’entend de nos jours. Jamais elle n’admettra en principe« le culte libre dans l’État libre, » qu’elle appelle « l’athéisme légal, » et qu’elle juge « contraire au respect pour la vérité et à la croyance sincère d’une religion quelle qu’elle soit. » C’est le langage d’un prélat qui passe pour fort libéral, et un clerc ne peut en tenir d’autre, il y a là un article de foi.

De sa nature aussi, par fonction, par vocation, l’Église est empiétante. Elle voit surtout dans le monde un passage ; sa conception de la vie est très différente de celle de la société laïque ; trouvant légitime d’imposer ce qu’elle nomme « le bien, » de faire régner « la vérité » qu’elle pense posséder sans partage, elle en conclut, comme M. de Donald, que, chargée de si grandes choses, « la religion est tout dans un état. » A ses yeux, la législation civile devrait se calquer sur la loi religieuse, et non-seulement elle ne devrait jamais forcer à faire ce que la loi religieuse défend, mais même elle ne devrait pas permettre de le faire. On l’a bien vu lors du vote de la loi qui rétablissait le divorce. Les adversaires de cette loi semblaient oublier que, sous l’ancien régime, alors que l’Église réglait seule le contentieux matrimonial, bien des gens savaient tirer parti des nombreux cas de nullité ecclésiastique, qu’ils parvenaient ainsi très souvent à trouver des points vicieux, des irrégularités machiavéliques, à des unions que l’on eût crues bâties à chaux et à ciment, que le défaut de consentement, ou l’impuissance d’un des conjoints, pour ne parler que de ceux-là, fournissaient à eux seuls de véritables divorces par consentement mutuel, dont on a d’illustres exemples dans le meilleur monde, et que l’annulation d’un mariage par le souverain pontife revenait en somme à sa cassation. Depuis que l’État se fut tracé à ce sujet des règles spéciales, différentes sur plus d’un point de celles de l’Église, depuis 1815