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donner. La cour de Rome le sait, et comme elle pratique, par tradition autant que par nécessité, cette maxime turque « qu’il ne faut jamais finir le jour ce qu’on peut remettre au lendemain, » elle garde le silence et ne brusque rien. Les évêques l’imitent en cela. Que pourraient-ils répondre à des reproches comme celui-ci : Un petit tract de librairie anticléricale fait connaître que l’évêché d’Angers a huit cuisines, que celui de Rodez en a douze, celui de Cambrai quatorze, celui de Vannes dix-huit et celui d’Arras vingt-quatre… Il conclut de cette intéressante révélation : « Vingt-quatre cuisines dans un évêché ! voilà qui donne une haute idée de l’austérité épiscopale ! » Si bien que l’homme primitif, et affamé peut-être, auquel ces sortes de publications sont destinées, se figure aisément une sorte d’image d’Épinal où des ogres et des gargantuas fantastiques, en soutanes multicolores, avalent des gigots entiers sans les mâcher et répandent pêle-mêle, dans leurs gosiers mitres, le contenu de tonneaux et de marmites innombrables !

Les rapporteurs parlementaires sont plus réservés, mais il faut reconnaître que leurs chicanes enfantines, leur affectation d’un goût douteux à discuter l’achat d’ornemens épiscopaux, la réparation de la crosse de tel prélat et du fourneau de tel séminaire, ne sont pas en contradiction avec le document diplomatique de 1801, puisque l’on pourrait réduire l’allocation cultuelle, non à 46 millions, ainsi qu’on l’a fait, mais aux 4 ou 5 millions seulement qu’elle atteignait dans les années qui suivirent le concordat, sans donner prise à une rupture avec la papauté. On pourrait même aller plus loin et descendre plus bas, puisque les expressions concordataires : « traitement convenable assuré aux évêques et aux curés, » sont d’une élasticité à toute épreuve. C’est dire que, pris isolément, le traité lui-même, malgré l’importance qu’on lui attribue, signifie peu de chose, ne garantit et n’oblige à presque rien. « Il faudrait bien se persuader, écrivait dans un journal officieux un député influent, que le budget des cultes n’a qu’une seule et unique défense : l’intérêt que la république trouve à le conserver… Quel est le plus favorable à l’état républicain, de continuer à payer ou d’abandonner l’église à la charité des fidèles ? »

Plaçons-nous donc sur ce terrain ; envisageons ce point de vue simplement pratique, et recherchons l’intérêt de l’état républicain. Nous verrons que son intérêt est de distinguer la « politique laïque » de la « politique antireligieuse, » puisque la confusion de l’une avec l’autre a jeté tant d’âmes catholiques dans une sorte d’insurrection latente. Pour faire cette distinction, il lui suffirait, d’une part, de remplacer le budget des cultes par l’inscription au grand-livre de la dette publique d’une rente perpétuelle, au nom de l’église de France, égale à ce budget et représentant