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lesquels ont changé soixante-neuf fois de ministres depuis 1800 et huit fois de directeurs depuis 1870.

En même temps la tolérance religieuse faisait des progrès sensibles ; j’étonne peut-être, en énonçant cette vérité, bien des gens qui se figurent endurer le martyre, mais en semblable matière il ne suffit pas de regarder les maux dont on souffre, il faut les comparer à ceux que d’autres ont soufferts. L’effort de la raison qui fait vivre en paix, dans une même âme, une ardente conviction personnelle et un profond respect des convictions d’autrui, n’est guère à la portée de la foule. Les masses sont souvent à cet égard aussi intolérantes que les despotes ; elles ne se plaisent pas dans cet état moyen, aussi éloigné de la persécution que de l’indifférence, qui est l’apanage de quelques esprits élevés. Elles passent sans transition d’un extrême à l’autre et n’arrivent souvent à la liberté de conscience que par le scepticisme, parce qu’elles ne supportent la contradiction que sur les sujets qui ne les intéressent pas. Dévot, le peuple tuait les incrédules ; incrédule, il tuait les prêtres. Il ne faut pas aller bien loin dans le passé, pour constater qu’il y a peu de temps encore, le droit commun du monde entier, c’était en effet l’intolérance. Sans remonter au déluge, ni aux premiers siècles de notre ère, pendant lesquels une société très policée traita avec une férocité parfaite ces vertueux « socialistes chrétiens, » espèce héroïque, qui prétendaient seulement mettre en commun ce qu’ils avaient et non ce qu’avaient les autres, sans suivre le long des âges cette Église que les âmes zélées firent passer du rôle de victime à celui de bourreau, d’abord contre les païens écroulés, puis contre les hérétiques sans cesse renaissans, contre les impies, contre les juifs qui persistaient à ne pas mourir, toutes persécutions que ces ennemis multiples lui rendaient avec usure partout où ils étaient les plus forts, je ne vois pas que la liberté de conscience ait fait de grands pas, même depuis l’apparition de la réforme, au XVIe siècle. Le protestantisme, que l’on représente parfois comme l’évangile du droit de discussion, fut, à l’origine, aussi absolu que le catholicisme l’avait jamais été. Ses apôtres préconisaient une certaine foi en opposition à une certaine autre, et les luthériens, là où ils étaient les maîtres, opprimaient les calvinistes aussi bien que les catholiques. À nos portes, le Palatinat était, deux fois en soixante ans, contraint d’embrasser les doctrines de Luther, et deux fois de les abandonner pour celles de Calvin. Nos propres guerres de religion sont présentes à toutes les mémoires ; pendant la période qui les suivit, depuis la promulgation de l’édit de Nantes jusqu’à sa révocation, le populaire catholique ne cessa de se montrer hostile à ces concessions que les hommes d’état, et les hommes d’église aussi, plus avisés, étaient d’avis de maintenir. Ce populaire vit avec plaisir