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Le temps était fini où la loi civile commandait de ne professer qu’une seule religion, ne permettait que ce qu’elle permettait, défendait tout ce qu’elle défendait elle-même ; désormais le « crime » ne se confondra plus avec le « péché, » ni le sacrement du baptême avec l’acte de naissance ; la société laïque fera bande à part, elle voudra une « commune » distincte de la « paroisse, » un conseil municipal distinct de la fabrique ; elle tiendra des registres séparés et tracera sur une page blanche une législation uniforme… ou à peu près pour tous les citoyens. Par suite, elle fera rentrer le clergé, jusqu’ici « premier ordre de l’État, » dans la masse de la nation et réduira le catholicisme, hier institution officielle soumise à mille obligations, gratifiée de cent privilèges, au rôle d’une opinion digne de tous les respects, mais incapable de les obtenir autrement que par la persuasion.

Telle était la théorie ; on sait pendant combien peu de mois elle fut appliquée entre 1790 et 1791, et comment, de l’indifférence, la puissance sociale passa vite à l’hostilité, puis à la proscription. Étant donné qu’on se lasse de tout, même de tuer et d’être tué, il survint un état comateux pendant lequel le gendarme et le prêtre, ne sachant trop de quel œil ils devaient se regarder, semblèrent éviter de se voir. Le concordat, et ce commentaire organique que le gouvernement français en écrivit pour son usage personnel, reflètent bien la disposition d’esprit incohérente dont j’ai parlé tout à l’heure, causée, dans le cerveau des hommes de 1801, par cet amalgame des triples formes de l’État honnêtement laïque, rêvé par l’assemblée constituante, de l’État protecteur et régulateur d’avant 1789, et de l’État persécuteur de 1793. Ainsi le même décret ordonnait au clergé de se servir, dans tous ses actes, du calendrier républicain de 1792 et d’enseigner dans les séminaires la déclaration de 1682 ; il prescrivait aux archevêques « de veiller au maintien de la foi et de la discipline, dans les diocèses qui dépendaient de leur métropole, » mais il leur défendait la tenue de synodes métropolitains ; il obligeait tous les prêtres sans exception à « s’habiller à la française et en noir, » mais autorisait pourtant les évêques à joindre à ce costume une croix pastorale et des bas violets. Libre à ces derniers « d’ajouter à leur nom celui de citoyen ou de monsieur ; toute autre qualification demeurant interdite. » Or c’est précisément depuis la révolution que l’on a remplacé, pour les évêques et archevêques, soit en leur parlant, soit en parlant deux, l’appellation de « monsieur, » seule en usage jusqu’alors dans la société et dans le protocole administratif, parcelle de « monseigneur. » Ce titre dont tant de gens jouissaient il y a un siècle : les ministres, les maréchaux, les gouverneurs, les intendans, etc., est demeuré aujourd’hui, par la volonté des fidèles, l’apanage des seuls prélats, qui