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l’Église qu’il s’était opiniâtrement défendu de la prendre. On en voit la preuve dans la correspondance de ses agens avec les nôtres, aux archives des affaires étrangères et dans la rédaction même, pleine d’embarras, de cet article extraordinaire. Les ultramontains les plus exagérés de la cour romaine sentaient que le successeur de Pierre, en déplaçant d’un seul coup une centaine de ses « vénérables frères » dans un intérêt religieux, comme un ministre-dans un intérêt électoral déplacerait des préfets compromis, faisait une chose qui ne s’était jamais faite depuis l’origine du christianisme. Par une de ces contradictions logiques qui sont un jeu de la destinée, le premier pouvoir solide issu de la révolution reconnaissait d’un seul coup au saint-siège des droits sur l’ensemble des biens et des personnes cléricales que jamais aucun des Valois ni des Bourbons n’aurait admis, même s’il ne se fût agi que d’un arpent de marais ou d’un vicaire de plein champ. L’élan était donné par l’autorité séculière, sans le savoir et surtout sans le vouloir, à ce mouvement qui ira grandissant et qui emportera chaque jour davantage, au plus grand profit du catholicisme, l’Église française dans l’orbite de la chaire romaine.

Ce mouvement invincible, prélude de la séparation de l’Église et de l’Etat, contenue en germe dans les doctrines du monde nouveau, mais non entrée alors dans nos mœurs, ni les plénipotentiaires du consulat, ni les administrateurs impériaux qui présidèrent à l’organisation moderne, n’en sentirent tout d’abord la force et n’en apprécièrent les causes profondes. Ils se rappelaient que, dans leur jeunesse ou leur âge mûr, l’État jouissait, à tort ou à raison, de droits précieux sur l’Église, que les attributions très confuses des ministres de la terre et de ceux du ciel donnaient à un gouvernement despotique qui savait tirer parti de son rôle de curé du dehors, — de bras séculier, comme on disait, — d’assez beaux avantages, que les parlemens, en jouant merveilleusement de « l’appel comme d’abus, » avaient fini par tenir des conciles et par s’ingérer judiciairement dans la chaire et dans le confessionnal. Depuis le XVIIe siècle, les évêques se plaignaient fort des représentans du pouvoir civil, qui, du conseil privé au plus humble des tribunaux de bourgade, entraient cavalièrement en partage d’attributions avec eux. Le parlement de Paris prétendait interdire à son gré les assemblées du clergé « pour faire reconnaître à MM. les ecclésiastiques la sujétion qu’ils doivent à la justice royale. » Méprise-t-on ses arrêts en semblables circonstances ? Cette cour décrète « ajournement personnel contre les nommés » tels et tels, archevêques et évêques ; elle prononce de plus la saisie de leur temporel, comme un simple ministre des cultes contemporain, et la chose alors ne soulève aucune objection de principe. Louis XIV, Louis XV