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presque me lever qu’avec des secours, et je suis d’une maigreur étonnante : voilà, monsieur, l’état de cette personne que vous avez tant célébrée, voilà ce que le temps sait faire. Je ne crois pas pouvoir vivre longtemps en cet état ; ma vie est trop désagréable pour en craindre la fin ; je me soumets sans peine à la volonté de Dieu ; c’est le Tout-Puissant, et de tous côtés il faut enfin venir à lui. L’on m’assure que vous songez fort sérieusement à votre salut et j’en ai bien de la joie. »

« C’est le Tout-Puissant, et de tous côtés il faut enfin venir à lui. » Duguet, son directeur, eût été content de cette fin de lettre. Elle me rappelle ce vers d’une épitaphe, que je sais gravée quelque part en caractères gothiques sur la tombe d’un vieux baron lorrain :


Dieu seul est Dieu qui aux siens ne fault point.


Mme de La Fayette est morte dans cette espérance, précédée de quelques mois dans la tombe par l’ami fidèle qu’elle croyait devoir lui survivre, car Ménage mourut en juillet 1692. « Tout le monde, lui écrivait-elle un jour avec mélancolie, perd la moitié de soi-même avant que d’avoir été rappelé. » Cette moitié, la plus précieuse de nous-même, n’est-ce pas surtout ceux qui nous ont aimés ? Quand on l’a perdue, la vie perd du même coup la moitié de son prix, et l’on comprend que Mme de La Fayette souhaita d’être rappelée.


HAUSSONVILLE.