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rapporteur dans sa chambre, dont nous disposerions mieux que de ce M. Benoist, qui est un vrai opiniâtre. »

Ménage s’emploie à toutes ces sollicitations avec beaucoup d’activité, et renonçant pour de bon cette fois à la galanterie, il paraît avoir joué le rôle d’un véritable ami. Mme de La Fayette l’en récompense en témoignant non moins d’intérêt aux affaires de Ménage qu’aux siennes propres. En femme qui a appris à connaître le prix de l’argent, elle le tance vertement pour avoir prêté sans garantie quatre cents pistoles à un gentilhomme suédois. « Il n’y a que vous au monde, s’écrie-t-elle, qui aille chercher des gens du Nord pour leur prêter votre argent. Je pense que c’est pour être plus assuré qu’on ne vous le rendra point, car je ne crois pas que vous prétendiez le retirer de votre vie. Mais est-ce que vous ne comprenez point ce que c’est que quatre cents pistoles pour les jeter ainsi à la tête d’un Ostrogoth que vous ne reverrez jamais ? Je dis qu’il vous faudrait mettre en tutelle. » Cependant ses sentimens pour Ménage trouvent aussi pour s’exprimer des accens moins rudes. Par un scrupule assurément excessif, elle se reproche de n’avoir pas toujours apprécié à sa valeur l’attachement qu’il lui avait témoignée dès sa jeunesse et deux années avant sa mort, elle s’en excuse auprès de lui avec une bonne grâce touchante. « Que l’on est sotte quand on est jeune ! lui écrit-elle. On n’est obligée de rien et l’on ne connaît pas le prix d’un ami comme vous. Il en coûte cher pour devenir raisonnable. Il en coûte la jeunesse ! »

La jeunesse s’était écoulée, en effet, et avec les années on voit encore une fois changer le ton des lettres de Mme de La Fayette. Plus de coquetterie ; plus d’enjouement ; plus d’affaires. Elles ne sont guère remplies que de détails sur sa santé et de plaintes sur ses maux. C’est un chien de mal que les vapeurs. On ne sait ni d’où il vient, ni à quoi il tend, ni quoi lui faire. Il n’ôte pas seulement la santé ; il ôte l’esprit et la raison ; si jamais elle est en état d’écrire, elle fera un livre entier contre ce mal. En attendant, elle ne mange plus, elle ne dort plus. Elle est toujours triste, chagrine, inquiète, sar chant très bien qu’elle n’a aucun sujet de tristesse, de chagrin ni d’inquiétude. Elle se désapprouve continuellement, c’est un état assez rude. Aussi ne croit-elle pas y pouvoir subsister, et dans la pensée de sa mort prochaine, elle demande à Ménage de conserver à ses enfans l’amitié qu’il lui a toujours témoignée. « Un ami tel que vous, lui écrit-elle, sera le meilleur morceau de la succession que je leur laisserai. »

Rendons justice à Ménage. Si autrefois il avait pu être tantôt importun et tantôt infidèle, il ne manqua durant ces pénibles années à aucun des devoirs que l’amitié lui imposait. Les lettres de Mme de