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n’avez point de bonne raison à en dire : je ne suis ni plus laide ni plus sotte que j’étais il y a deux ans ; je suis un peu plus vieille, il est vrai, mais je suis encore si riche de jeunesse que ces deux années-là ne m’appauvrissent guère et ne me sauraient nuire auprès de vous. Je vous aime et vous estime autant que j’ai jamais fait. Tant que j’ai été à Paris, je n’ai point négligé de vous voir ; présentement que je n’y suis plus, je ne néglige point de vous écrire ; enfin, vous ne sauriez vous plaindre avec justice, et ainsi, par honneur, vous dites que vous m’aimez toujours ; mais, malgré que vous en ayez, il vous échappe mille choses qui font voir le contraire. Répondez un peu à tout ce que je viens de vous dire là, mais répondez-y comme il faut et ne me tranchez pas une réponse en trois mots comme vous avez accoutumé. Adieu, si mes yeux vous avaient fait du mal, vous en seriez vengé par celui que je leur fais en l’écrivant. »

Mme de La Fayette connaît son homme. Elle s’imagine bien que, s’il la néglige, c’est qu’il a porté ses hommages ailleurs. Moitié sérieusement, moitié sur le ton de la plaisanterie, elle lui fait part de ses soupçons : « Je suis comme jalouse que vos œuvres avancent si fort en mon absence, et j’ai dans la tête que quelqu’un vous aide au lieu de moi. Mais dites-moi sincèrement ce qui en est, et si je ne suis celle qui vous aide, au moins que je sache qui elle est. Je ne saurais m’imaginer que vous travailliez sans secours ; et, quand je repasse toutes vos œuvres et que je considère qu’il n’y en a pas une où quelque belle n’ait part, j’ai peine à comprendre que vous travailliez présentement en l’air. » Mme de La Fayette ne se trompait pas : elle avait une rivale, et la rumeur publique finit par lui en apprendre le nom. C’était la duchesse de Montbazon, une des héroïnes retraitées de la Fronde, dont Retz disait : « Je n’ai jamais vu personne qui ait conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu. » Elle était demeurée belle, malgré ses quarante ans passés, et prenait de sa personne un soin extraordinaire, « étant, au témoignage de Mme de Motteville, demeurée dans ses dernières années aussi enchantée de la vanité que si elle n’avait eu -que vingt-cinq ans. » Mme de La Fayette aurait eu droit de se plaindre d’être sacrifiée à une rivale de cet ordre, mais elle semble en avoir pris son parti avec assez de gaîté. C’est pour elle l’occasion de pousser une nouvelle pointe à Ménage et de soulever un de ces cas de casuistique sentimentale sur lesquels les précieuses, dans leurs réduits, aimaient à disserter.

« L’on m’a écrit que vous étiez amoureux de Mme de Montbazon. Mandez-moi un peu ce qui en est, car je suis bien aise d’être informée de ce qui se passe dans votre cœur, et je crois même que