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compter cette lettre-ci au nombre de celles qui sont à la glace ; mais j’ai la migraine[1]. »

Enfin, je ne puis résister au plaisir de citer dans leur entier les trois lettres suivantes, tant dans ces lettres Mme de La Fayette se peint, il me semble, au naturel, dans sa paresse et sa bonne grâce enjouée :


« Le 14 novembre 1662.

« Toute précieuse que soit Mlle de La Trousse, elle a de l’esprit, et par là je suis assurée qu’elle vous distingue comme elle le doit du reste de MM. De Caën, que je ne crois pas tous aussi distinguâmes que vous l’êtes. Pour Mme de Coulanges, elle est toute propre à mettre le feu dans des cœurs moins combustibles que ne le sont pour l’ordinaire ceux de province. Je ne sais si je me trompe ; mais je trouve que les cœurs de campagne brûlent à bien plus grand feu que ceux de la cour ; et il me semble même que ceux de la cour brûlent mieux à la campagne qu’à Paris.

« Ce pauvre Segrais aura tout le loisir de brûler à Saint-Fargeau, et il ne lui manquera que du feu ; mais je ne crois pas qu’il en puisse trouver là pour allumer une allumette. Toutes les lettres que je lui ai écrites en Normandie ont été perdues. Depuis qu’il est à Saint-Fargeau, notre commerce est rétabli. Le mien est quasi rompu au pays latin. Mon maître n’est pas ici. M. Ménage est occupé aux louanges de M. le cardinal ; ainsi, je n’ai personne qui me tire de ma paresse naturelle. Je fais une vie fort inutile ; elle n’en est pas moins agréable. Hors de travailler pour le ciel, je commence à trouver qu’il n’y a rien de meilleur à faire que de ne rien faire. Mandez-moi un peu si madame votre sœur et vous avez renoncé à toutes les pensées de vous établir ici ; et si nous ne vous y verrons de longtemps l’un et l’autre. »


« Le 29 août 1663.

« Vous êtes donc bien offensé contre moi ? C’est bien fait à vous de vous fâcher sans savoir si c’est à tort ou à droit. Les beaux esprits vont quelquefois aussi vite en besogne que les autres ; et le même feu qui les rend beaux esprits les rend aussi esprits de feu, c’est-à-dire étourdis, en paroles couvertes. Je ne prétends pas vous dire que vous le soyiez : à Dieu ne plaise ! Je dis seulement que

  1. Ces fragmens sont tirés de lettres déjà publiées par M. Henry dans un petit opuscule intitulé : un Erudit homme du monde, homme d’église, homme de cour ; les trois suivantes sont inédites.