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seconde lettre que, quoique j’eusse lieu de me plaindre de ce que vous ne me faisiez pas réponse, ne sachant pas que vous étiez à la campagne, je n’ai pas laissé de vous écrire une seconde fois, et j’aurais continué à vous écrire quand même vous auriez eu la dureté de ne pas me faire réponse. Ce que je vous dis là vous doit persuader que je suis bien éloignée d’avoir pour vous l’indifférence dont vous m’accusez. Je vous assure que je n’en aurai jamais pour vous et que vous trouverez toujours en moi l’amitié que vous en pouvez attendre. »

Mais lorsque le maître s’obstinait dans sa bouderie et cherchait à son écolière des querelles injustes, celle-ci le morigénait à son tour et lui reprochait assez vertement son humeur maussade :

« J’aurais raison d’être en colère de ce que vous me mandez que vous ne m’importunerez plus de votre amitié. Je ne crois pas vous avoir donné sujet de croire qu’elle m’importune. Je l’ai cultivée avec assez de soin pour que vous n’ayez pas cette pensée. Vous ne la pouvez avoir non plus de vos visites que j’ai toujours souhaitées et reçues avec plaisir. Mais vous voulez être en colère à quelque prix que ce soit. J’espère que le bon sens vous reviendra et que vous reviendrez à moi qui serai toujours disposée à vous recevoir fort volontiers. »

Rien de plus innocent, on le voit, que cette correspondance entre un pédant galantin et une jeune fille de vingt ans. De l’humeur dont était le maître, il fallut cependant à l’élève un certain mélange de douceur et d’habileté pour contenir cette relation dans de justes limites et pour la transformer en une amitié qui devint plus tard une des consolations d’une vie dépouillée.

Cependant le temps s’écoulait. Marie de La Vergue allait avoir vingt-deux ans, c’est-à-dire qu’elle avait assez sensiblement dépassé l’âge que la coutume assignait à l’établissement des jeunes filles. Malgré son agrément et sans doute à cause de son peu de fortune, elle ne paraît guère avoir été recherchée. Il fallut l’entremise d’amis pour lui ménager une entrevue avec un seigneur de haute naissance qui avait du bien et qui occupait un rang honorable dans les armées du roi. Il avait nom Jean-François Motier, comte de La Fayette et descendait d’une très ancienne famille d’Auvergne. Cette première entrevue pensa mal tourner. S’il faut en croire un chansonnier du temps, le futur, décontenancé, n’aurait pas trouvé un mot à dire et se serait retiré sans avoir proféré une parole. Aussi dit la chanson :

Après cette sortie,
On le tint sur les fonts ;
Toute la compagnie
Cria d’un même ton :