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dû la communication de cette correspondance aux traditions de bonne grâce et de libéralité que M. Feuillet de Conches a laissées autour de lui, et j’y puiserai abondamment. Nul ne se plaindra, je pense, si, le plus souvent que je puis, je laisse Mme de La Fayette parler à ma place.


I

C’était un assez singulier personnage que ce Gilles Ménage, et comme, de notre temps, on n’en saurait plus voir. Il était abbé tout juste autant qu’il le fallait pour avoir droit à un bénéfice, mais pédant autant qu’on peut l’être, et avec cela dameret, rempli de prétentions, mais, au demeurant, honnête homme et digne, à tout prendre, des amitiés qu’il inspira. Il passait sa vie à être amoureux. Arrivé cependant à la cinquantaine, il crut qu’il était temps de s’arrêter et fit chez ses belles une tournée de visites pour leur annoncer qu’il renonçait à l’amour ; mais elles se moquèrent de lui en lui donnant l’assurance que, pour ce qu’il en faisait, il pouvait, sans inconvéniens, continuer comme auparavant. C’était un peu son défaut de s’en faire accroire et d’affecter des airs d’intimité dans les maisons où il n’était pas toujours le bienvenu. Écoutons sur ce point Tallemant des Réaux : « Ménage, dit-il, entre autres dames, prétendait être admirablement bien avec Mme de Sévigné la jeune et avec Mlle de La Vergne, aujourd’hui Mme de La Fayette. Cependant la dernière, un jour qu’elle avait pris médecine, disait : Cet importun de Ménage viendra tantôt. Mais la vanité fait qu’elles lui font caresse. » Personne, à la vérité, ne prenait les prétentions de Ménage au sérieux, et sur ses relations avec ces deux dames, on fit courir le quatrain suivant :


Laissez là comtesse et marquise,
Ménage, vous n’êtes pas fin ;
Au lieu de gagner leur franchise,
Vous y perdrez votre latin.


Ménage n’y perdit rien cependant, et son latin lui servit, au contraire, puisque ce fut sous couleur de l’enseigner qu’il entra dans la vie et de la marquise et de la comtesse. On sait ses relations avec Mme de Sévigné, alors qu’elle était encore ou jeune fille ou jeune veuve, les tendres sentimens dont il faisait profession pour elle, leurs brouilles et leurs raccommodemens. Mais en dépit de cette jolie fin de lettre que lui adressait la marquise : « Adieu, l’ami, de tous les amis le meilleur, » Ménage disparaît de bonne heure de la correspondance et de la vie de Mme de Sévigné. Il n’en