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qu’inspire le nom seul de Mme de la Fayette, et pour servir d’excuse à ceux qui, après tant d’autres, après Sainte-Beuve, après M. Taine, sont tentés de parler encore d’elle et d’écrire sa biographie ?

J’ai dit sa biographie ; est-ce bien là le terme qui convient, et ce mot n’est-il pas un peu lourd, appliqué à une femme qui aimait à répéter : c’est assez que d’être ? Ce que je voudrais plutôt retracer, c’est l’histoire de son talent et aussi l’histoire de son âme, car ces deux histoires sont inséparables à mes yeux, et l’auteur de Zayde serait restée une aimable conteuse si, dans un livre immortel qui s’appelle la Princesse de Clèves, elle n’avait mis le roman de sa vie. Pour écrire cette double histoire, un peu d’imagination serait peut-être nécessaire ; mais n’en faut-il pas toujours plus ou moins pour écrire une biographie, et surtout celle d’une femme ? Seule, l’imagination peut ressusciter une âme, rétablir le drame de sa destinée et pénétrer le mystère de ses épreuves, de ses faiblesses ou de ses victoires. Il en est du biographe comme du peintre : s’il ne devine le secret de son modèle, le portrait auquel il s’applique ne sera jamais ressemblant. Mais, remettant à plus tard de chercher quel fut le secret de Mme de la Fayette, je voudrais, pour aujourd’hui, me borner à marquer d’un trait plus précis la nature de ses relations peu connues avec un homme qui, après avoir été d’abord son maître de latin, finit par devenir son ami. Je me servirai pour cela d’une correspondance inédite dont je dois tout d’abord indiquer l’origine.

Segrais, qui parle souvent de Mme de la Fayette, mais qui ne l’avait point connue avant son mariage, indique comme ayant été les maîtres de sa jeunesse le père Rapin et Ménage. Dans ses intéressans mémoires, le père Rapin ne fait cependant aucune mention de la part qu’il aurait prise à l’éducation de Mme de la Fayette, et il se borne à la dénoncer avec assez d’aigreur comme fréquentant plus tard le salon de Mme du Plessis-Guénégaud, « où se débitait le nouvel évangile de Port-Royal. » Quant aux relations de Mme de la Fayette avec Ménage, elles furent, en effet, des plus intimes et se prolongèrent même, comme on va le voir, bien au-delà de ses années de jeunesse.

Dans son introduction à la Jeunesse de Mme de Longueville, M. Cousin avait signalé l’existence d’une correspondance entre Mme de la Fayette et Ménage, qui faisait partie d’une collection d’autographes appartenant à M. Tarbé. Cette correspondance se composait de cent soixante-seize lettres qui, à la mort de M. Tarbé, ont été acquises en vente publique par M. Feuillet de Conches. Le savant collectionneur en préparait la publication lorsque la mort vint mettre un terme à cette longue vie de travail et d’érudition. J’ai